L'arrivée de Calin Rovinescu à la tête d'Air Canada a semé l'émoi chez le public, voire l'effroi chez les dirigeants syndicaux. Air Canada, sortie presque miraculeusement de la protection des tribunaux il n'y a pas si longtemps, semble encore menacée. Certains commentateurs se sont même avancés jusqu'à dire que le transporteur est en faillite technique. Il semble approprié de regarder un peu plus calmement la situation.

Air Canada n'a pas eu tout faux depuis la restructuration, bien au contraire. Sa stratégie d'affaires articulée autour de la génération de revenus connexes a connu du succès. Dans sa version la plus décriée, la vente de produits connexes transforme les compagnies aériennes en véritables colporteurs du ciel. Ryanair, le leader des transporteurs européens au rabais, songerait même à pousser l'odieux jusqu'à faire payer l'accès aux toilettes à bord. Air Canada fait les choses avec un peu plus de goût en mettant de l'avant une politique de prix qui se veut transparente. Les clients peuvent ainsi naviguer sur un site web plutôt convivial et décider des services qu'ils désirent se voir offrir à bord.

 

Le public voyageur a semblé y trouver son compte puisque Air Canada a profité de taux d'occupation particulièrement élevés au cours des dernières années. En fait, comparativement aux autres grands transporteurs nord-américains dits «traditionnels» (United Airlines, Delta, et autres), Air Canada ne s'est pas mal tirée d'affaire depuis sa restructuration.

Bien sûr, l'environnement d'affaires actuel comporte de nombreux défis. La volatilité du prix du pétrole en est un. Depuis le prix record de juillet 2008, le cours a recommencé à baisser et sa politique d'achat à l'avance de carburant désavantage Air Canada. Elle paie actuellement plus cher pour son carburant que ses concurrents. La crise sur les marchés boursiers et son impact sur le déficit actuariel de la caisse de retraite des employés est un autre défi majeur. Mais ce sont là des éléments sur lesquels l'entreprise a peu de contrôle.

Cela dit, tout est loin d'être parfait au sein de l'entreprise qui demeure pour de nombreux Canadiens, le transporteur national. Il faudra pouvoir rembourser ces prêts élevés consentis récemment à l'entreprise (ce qui indique cependant que les prêteurs ont jugé Air Canada solvable). Les relations de travail ne sont certes pas la force du transporteur et l'entrée en scène du nouveau président pourrait ne pas améliorer les choses. Sans compter la difficulté de conjuguer la raison d'être d'Air Canada, soit d'offrir un service de transport aérien, avec celle de la société de portefeuille mère Gestion ACE Aviation, soit la maximisation de la valeur actionnariale. Les tractations financières d'ACE semblent souvent obscures au commun des mortels, pourtant elles ont permis à Air Canada d'acheter de nouveaux appareils et d'ainsi opérer une flotte plus jeune (et moins polluante) que celle des transporteurs traditionnels nord-américains.

Il est donc prématuré d'annoncer la faillite du transporteur, en l'accusant d'avoir une stratégie désuète et une structure de coût trop lourde comparativement à celle de West Jet (entreprise qui n'aura pas toujours l'avantage de la jeunesse).

Ce faisant, on mine le moral des troupes. Il y a sans doute plusieurs employés d'Air Canada qui sont fiers de la façon dont leur entreprise s'est sortie de la tourmente du début des années 2000, fiers aussi de la fiche plus qu'enviable de l'entreprise quant à la sécurité aérienne.

Qui sait, peut-être fera-t-on l'annonce d'une commande d'appareils de la CSeries par Air Canada dans un futur pas trop éloigné? Les choses peuvent aller vite dans le transport aérien.

Isabelle Dostaler

L'auteure est professeure agrégée de stratégie à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia.