L'auteure réside à La Prairie.

Quand le sommeil ne vient pas, je lis. Je m'enveloppe de mots comme d'une présence apaisante, comme on se couvre pour la nuit. Je lis. Mes doigts frôlent le papier et tranquillement... des personnages émergent. Les phrases tracent les pourtours de lieux qui se dessinent à petits traits. Je me réveille dans la tête d'un étranger (le narrateur). Je suis pas à pas le fil de ses pensées; la trame brodée avec des mots ciselés, étayés comme des joyaux. Je lis délicieusement, secrètement. Seul le bruissement de mes doigts sur les pages entrecoupe le silence.

Le contact froid du clavier sous mes doigts, de l'écran qui grésille, me rappelle immanquablement le boulot. Je me documente, oui, grâce à l'internet. Je survole les journaux, les blogues. Je me renseigne, je podcast, je google... Le portable qui trône sur mes genoux transporte son lot d'information, une surcharge cognitive dont je souhaite me détacher aussitôt que le travail est abattu.

 

Avec soulagement, je retrouve ma bibliothèque que je garnis au gré des occasions. Mes romans de voyage sentent l'air salin quand on les ouvre. Ceux pêchés à la bouquinerie portent l'empreinte d'étrangers. Parfois une marque dans la marge, parfois l'odeur du tabac, parfois un signet qui n'a plus d'âge. Les livres offerts en cadeau éveillent l'image et les souvenirs des gens que j'aime. Ceux que je m'offre sentent l'encre fraîche. De pleines marges blanches que j'annoterai peut-être. Il me suffira d'un mot, d'une idée, pour qu'au cours d'une conversation, je me rappelle d'un passage et que j'accours vérifier l'extrait. Ainsi, ma petite vie se mêle à la grande histoire, celle que je lis.

Depuis des lustres, les prophètes de malheur prédisent la mort du livre - certains chroniqueurs (pour ne pas nommer Patrick Lagacé) s'en font une joie... Au nom du numérique, on trépigne à l'idée d'un autodafé qui réduirait en cendres ce sale papier encombrant. Et pourtant! L'industrie du livre continue à faire aller ses presses. La vente des livres est en croissance au Québec. D'après l'Institut de la statistique du Québec, les librairies québécoises ont connu une hausse de 9% des ventes de livres en 2007.(1) Il suffit de visiter la Bibliothèque nationale du Québec, un petit bijou architectural des plus design, pour découvrir une véritable fourmilière. Les cloisons transparentes laissent entrevoir un monde fou qui tantôt emprunte, tantôt bouquine entre les allées, les bras chargés de livres.

L'intrusion du virtuel dans l'univers littéraire donne un nouveau souffle aux petites maisons d'édition qui se démarquent en offrant des livres distincts: Les Allusifs, Le Quartanier, Les Éditons de la Pastèque, La Bagnole, etc. Un soin particulier est accordé au graphisme, au papier, à l'encre. On ose des traductions audacieuses. On donne la voix à une nouvelle génération d'auteurs qui naviguent entre l'imprimé et le Net.

Mais alors, pourquoi autant de livres? Parce que lire rend heureux, tout simplement. Parce que s'évader sur du papier permet de tricher sur la mort et de vivre toutes les vies que l'on souhaite!

(1) www.stat.gouv.qc.ca/salle-presse/communiq/2008/juin/juin0818.htm

L'auteure de la lettre de la semaine recevra une copie laminée de cette page.