Le fait de se dire «partisan» et «politisé» semble aujourd'hui de mauvais goût. Il est de meilleur ton de se «mobiliser» sans prendre parti. L'engagement s'affiche sans couleur - le vert, c'est comme la tarte aux pommes et tant que ça demeure un concept, c'est sans risque. On sait ce qu'on ne veut pas, mais on ne sait pas ce qu'on veut. Ou on a peur de le dire?

Dans le premier numéro du magazine Génération d'idées1, on peut lire: «Il faut nous rassembler et prendre la parole si nous voulons que nos élus mettent à l'ordre du jour des enjeux qui nous préoccupent. Sans parti pris, sans but lucratif et apolitique, Génération d'idées n'est qu'un outil pour y arriver...»

Pourtant, l'ambition d'influer sur la priorité des enjeux dans une société donnée est un désir tout à fait politique. Le malaise ici, répété deux fois plutôt qu'une - «sans parti-pris» et «apolitique», se situe dans le refus d'être associé à un parti ou un mouvement politique existant.

De la même façon, une grande majorité des artistes engagés contre les coupes dans la culture lors de la dernière campagne électorale ne voulaient pas se ranger derrière un seul parti, mais en rejeter un en particulier.

Dans les deux cas, il y a solidarité entre gens d'allégeances différentes et gardées secrètes unis «contre», à défaut d'un rassemblement «pour» quelque chose. Dire non à un état des lieux est une prise de position, certes, mais dire non sans proposer de solution est un immobilisme. Le résultat des dernières élections donne exactement ce sentiment. Malgré toutes les excitations sur la place publique, le statu est quo.

La pudeur persistante à afficher clairement ses couleurs rappelle cette époque pas si lointaine où il était interdit de parler politique à table, et presque indécent d'avouer pour qui l'on vote. Éviter le plus possible les débats sur le perron de l'église laissait toute latitude au curé en chaire de montrer la voie du «bon bord»...

Cette pudeur actuelle renferme certainement la peur du débat, la peur que l'autre en face ne partage pas notre avis, la peur d'être moins «aimé», la peur de devoir défendre ses opinions, la peur de s'affirmer en tant qu'individu.

La politique est notre outil commun, elle sert à dessiner notre vivre ensemble. Dans ce monde qui se redéfinit sans cesse, quand les individus se placent en dehors de la politique, ils cessent de participer à sa définition. Alors, tous sont perdants. Si on a les politiciens que l'on mérite, on a aussi les partis et les mouvements politiques que l'on façonne.

Avant de revendiquer le désir de «changer le monde» ou que «les choses changent», il faudrait commencer par se saisir de l'outil, et ne pas avoir peur de l'utiliser. Avoir des opinions «apolitiques» et sans «parti pris», c'est comme annoncer que l'on va construire une maison les mains attachées derrière le dos. Comme on dit, ça fait pas des enfants forts.

1 www.generationdidees.ca

Mme Benoit est auteure et ex-mannequin.