Les talibans sont très actifs dans près de la moitié des provinces afghanes et font régner un climat d'insécurité qui dissuade députés et sénateurs afghans, humanitaires et militaires étrangers de quitter Kaboul par la route. Pourtant, ici, la situation qui inquiète le plus, c'est celle qui prévaut au Pakistan. Tous craignent l'implosion de ce pays et ses effets sur le leur.

Depuis l'assassinat de Benazir Bhutto en décembre dernier, le Pakistan vit des heures tragiques. Le célèbre analyste pakistanais Ahmed Rashid n'hésite plus à écrire que son pays est au bord du gouffre. Deux raisons

 

l'amènent à établir ce constat : la menace talibane est devenue régionale et la stratégie guerrière occidentale dans la région est un échec.

Les talibans pakistanais sont devenus un véritable État dans l'État. Ils contrôlent la plupart des provinces adossées à la frontière afghane, infiltrent chaque jour de mieux en mieux la grande province du Nord-Ouest

et, au Pendjab, ils oeuvrent de concert avec les extrémistes punjabis et cachemiris. Dans toutes ces régions, les combats entre les talibans pakistanais et les forces de l'ordre sont quotidiens, et la plupart des observateurs reconnaissent que le pouvoir central peine à rétablir son autorité. En fait, les talibans pakistanais tiennent en joue

l'armée pakistanaise et frappent désormais au coeur des grandes villes du pays.

Crise politique et diplomatique

La dégradation de la situation sécuritaire au Pakistan se double d'une crise politique et diplomatique entre le nouveau président pakistanais et les États-Unis. En effet, les Américains ne restent pas les bras croisés devant la

montée des talibans pakistanais et conduisent quotidiennement des opérations militaires en territoire pakistanais malgré les protestations (on doute qu'elles soient sincères) du président Ali Zardari. Les Pakistanais menacent

d'abattre les avions américains, mais personne n'en croit un mot tellement le Pakistan dépend de l'aide économique et militaire américaine. Selon Rashid, le Pakistan est tombé dans son propre piège. Depuis 2001, certains au sein des forces armées et des services secrets alimentent en armes et en argent les talibans afghans avec le double objectif de préparer l'après Karzai, qui ne manquerait pas d'arriver si les forces internationales

se retiraient, et de contrer l'Inde de plus en plus présente en Afghanistan. Mais ces Pakistanais jouent avec le feu,

dit Rashid. Les talibans pakistanais et afghans font maintenant cause commune et coordonnent leurs actions avec al-Qaeda afin de permettre à l'organisation terroriste de s'installer dans la province du Nord-Ouest pour y

rétablir des bases d'où elle peut frapper les Occidentaux.

Les Américains répondent à cette spirale de la violence en promettant d'envoyer plus de troupes en Afghanistan et en frappant au Pakistan. Ahmed Rashid estime cette stratégie vouée à l'échec, car la menace talibane ne concerne plus seulement le binôme Afghanistan/ Pakistan, mais l'ensemble de la région. Il faut, dit-il, accoucher

d'une stratégie politique permettant à tous les voisins de l'Afghanistan et du Pakistan, comme l'Inde, l'Iran et les cinq républiques d'Asie centrale, d'agir de concert avec les États- Unis, l'OTAN et l'ONU afin de transformer l'intervention occidentale, essentiellement vue comme un instrument de guerre, en un outil visant à

régler les problèmes. À Kaboul , dans les couloirs de l'ONU, de la force de l'OTAN et dans certaines chancelleries occidentales, on partage en partie l'analyse de Rashid. L'option militaire, favorisée par les États-Unis, a fait long feu. Il faut revoir les paramètres de la guerre et y associer tous les partenaires occidentaux comme locaux, rétablir la confiance des Afghans envers la mission de l'OTAN, et convaincre le Pakistan de ne pas craindre la présence de l'Inde dans ce pays et de sévir sérieusement contre les talibans, afghans comme pakistanais.

Toutefois, le Pakistan est entré dans un tel cycle de violences, depuis quelques mois, qu'on peut se demander si ce brassage des cartes n'arrive pas trop tard.

L'auteur (j.coulon@ cerium.ca) est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, affilié à l'Université de Montréal. Il séjourne à Kaboul grâce à un financement de l'OTAN.