Le dépôt de la loi spéciale de retour au travail des employés et employées des postes par le gouvernement Harper, précédé d'une menace identique quelques jours plus tôt envers les employés et employées d'Air Canada, vient à toutes fins pratiques de sonner le glas au droit à la libre négociation dans le secteur public fédéral.

Après à peine 10 jours de grèves rotatives de la part du syndicat qui affectaient peu le service postal, la direction de Postes Canada a décrété un lock-out partiel en limitant la livraison à trois jours semaine. Mais à peine cette mesure avait-elle débuté, et ne prenant même pas la mesure de l'efficacité de cette pression sur le syndicat, elle décrétait un lock-out total quelques jours plus tard.

Immédiatement après, la ministre fédérale du Travail, Lisa Raitt, indiquait qu'elle allait présenter un projet de loi de retour au travail. Le gouvernement intervient donc au moyen d'une loi qui vient scier les jambes au syndicat, alors que c'est l'employeur qui a décrété un lock-out.

En s'en prenant de la sorte aux plus gros syndicats, soit les TCA et le STTP, le gouvernement Harper nouvellement élu, veut lancer un message non équivoque, c'est la fin de la libre négociation.

Postes Canada se contente d'attendre, sachant qu'elle risque fort d'obtenir plus par une législation qu'en négociant. L'imposition par la loi d'un salaire inférieur à la dernière offre patronale nous en donne déjà un aperçu.

Une transformation qui vient de loin

Postes Canada invoque que les dernières 16 années de rentabilité ne sont pas une garantie pour l'avenir. Cependant si ce n'avait été des interventions des différents gouvernements, celui-ci serait encore plus rentable qu'il ne l'est aujourd'hui.

Les changements opérés successivement par les gouvernements conservateur et libéral au cours des 20 dernières années concernant le service postal public ont eu pour conséquences objectif de commercialiser Postes Canada, c'est-à-dire de lui enlever ses caractéristiques de service public universel et de le rendre soumis à la compétitivité du marché.

En 1989, le gouvernement conservateur a fixé pour Postes Canada des objectifs financiers comparables à ceux que l'on voit dans le privé.En 1990, un comité parlementaire dominé par les conservateurs a recommandé que Postes Canada soit privatisé une fois qu'il aurait atteint un rendement financier comparable à celui du secteur privé et que les relations industrielles se seraient améliorées.En 1994, le gouvernement libéral adoptait une loi obligeant Postes Canada à payer de l'impôt sur le revenu, à la manière d'une entreprise privée.En 1995, la Société canadienne des postes a commencé à payer de l'impôt sur le revenu et, en 1996, elle a commencé à verser des dividendes à son actionnaire, en l'occurrence le gouvernement.En mai 1995, une coalition formée par des concurrents de Postes Canada, y compris des entreprises de messagerie, demandait le réexamen du mandat de la Société, dans le but de déterminer si l'on devait permettre au service postal de faire concurrence aux intérêts privés. En août 1995, le gouvernement libéral annonçait qu'il procéderait à un tel examen.En 1997, un rapport d'étude menée par Valeurs mobilières TD et Dresdner Kleinwort Benson recommandait de fixer des objectifs financiers qui permettaient de privatiser la Société canadienne des postes. En outre le rapport recommandait que la Société verse sans délai 200 millions de dollars au gouvernement. Versement qui a eu lieu en 1998-1999, en plus du dividende de 12 millions de dollars résultant des bénéfices enregistrés par la Société.

Selon le rapport, ces dividendes devaient particulièrement servir à ce que Postes Canada ait un ratio d'endettement comparable à celui d'une entreprise privée et considérait à l'époque que Postes Canada n'était pas suffisamment endettée. En effet, une Société qui génère des profits risque de placer les travailleurs dans une situation de force.

À cela, il faut ajouter la création par le gouvernement libéral du fonds de pension de Postes Canada. À la fin des années 1990 le ministre des finances Paul Martin mettait fin au fonds de auquel appartenait Postes Canada au sein de la fonction publique fédérale. Il a retiré le solde appartenant à Postes Canada qui représentait environ 18 milliards de dollars mais en a soutiré les surplus accumulés qu'il a versé dans les coffres du gouvernement pour un montant de 12 milliards, laissant à Postes Canada un maigre 6 milliards. Il avait agi de la même façon avec les surplus de l'assurance emploi.

Néanmoins, au cours des 15 dernières années, Postes Canada a réalisé des profits de 1,7 milliard $ et a versé au gouvernement fédéral 1,2 milliard $ en dividendes et en impôts. Mais cela ne semble pas encore suffisant. La rentabilité ne semble donc pas la raison majeure qui justifie le refus de négocier de Postes Canada et l'intervention du gouvernement Harper. On constate bien plus une volonté de soumettre des travailleurs afin d'éliminer toute résistance pour les projets à venir. Si dans l'immédiat ce eux et particulièrement les jeunes qui font les frais de ces politiques, il y a fort à craindre également pour l'avenir du service postal public.

* L'auteur est un employé retraité de Postes Canada depuis août 2010. Il a été président de la section locale de Montréal du Syndicat des travailleurs des postes de 1996 à 2002 et directeur national de la région de Montréal métropolitain du STTP de 2002 à 2005.