Depuis le début des années 90, l'Occident traverse une ère de grandes réconciliations marquée par une certaine volonté politique de réparation des crimes du passé. La littérature scientifique anglo-saxonne qualifie (à raison) ce moment de l'histoire des rapports entre l'Occident et le reste du monde de «age of apology».

Malgré les manifestations plausibles de volonté de réparation et l'engagement visible des gouvernements occidentaux à «digérer» en toute responsabilité les erreurs du passé, aujourd'hui, l'image de l'Occident dans les territoires ex-coloniaux d'Afrique n'est pas encore de nature à lui conférer quelque autorité morale que ce soit en matière de gouvernance.

De ce fait, il est une oeuvre délicate et bien risquée pour tout diplomate ou plénipotentiaire occidental de tenir un discours sur la bonne gouvernance en Afrique. La délicatesse de l'entreprise tiendrait à la « qualité des temps » : il ne faut surtout pas réveiller les démons d'un passé qui, bien qu'en voie de digestion (même lente) à Paris, Washington, Berlin ou Londres, est encore perçu comme la cause fondamentale de la misère rampante dont est victime le continent.

Dans les rues de Dakar (Sénégal), de Douala (Cameroun) ou de Kinshasa (République démocratique du Congo), le rapport est toujours très vite fait entre les pillages du passé et la qualité de vie ô combien indigne des femmes et des hommes qui peuplent le continent noir aujourd'hui.

Le risque, bien grand autant le rappeler, tiendrait au danger encouru par le discoureur de se voir taxer de dirigiste, d'interventionniste, de colonialiste... et pire de « raciste », si la couleur de sa peau est blanche.

Pas très surprenant donc que, dans un contexte aussi boueux, le principal interlocuteur des pauvres États d'Afrique soit devenu les institutions de Bretton Woods et autres organisations internationales qui, coffres-forts en mains, indiquent, mieux, imposent désormais aux autorités de Yaoundé (Cameroun), Libreville (Gabon) ou Abuja (Nigéria) ce qu'Ottawa, Paris ou Washington souhaiteraient voir appliquer comme norme de gouvernance.

Mais depuis un certain temps, malgré la qualité brumeuse des temps et le «danger» entaché à l'entreprise, des dirigeants occidentaux entêtés prennent de plus en plus le risque de dire tout haut ce que les coutumes diplomatiques (forcément hypocrites) ont longtemps censuré, et qui relève, n'en déplaise à Maïmouna, Bakari, Essumsuma Kpakungoo, de la pure vérité : la responsabilité ô combien lourde de l'Africain dans la descente aux enfers de son continent.

Le chef de l'État français, Nicolas Sarkozy, l'avait dit à Dakar le 26 juillet 2007, et en avait reçu pour son compte. De manière quasi-systématique, aucun tri ne fut opéré entre les choses alors dites qui relevaient de l'acceptable, et celles qui méritaient d'être rejetées.

Globalement analysée, la critique du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy semblait se résumer en une formule fort simple : « T'as pas droit de le dire ». Un peu comme si, systématiquement, il y aurait des choses que le plénipotentiaire Occidental n'aurait pas droit de dire sur l'Afrique ou les Africains.

Le 11 juillet dernier, le chef de l'État américain, Barack Obama, n'a pas que pris le risque de se mêler des «africanités» lors de sa première visite officielle au sud du Sahara, il a même foutu un coup de pied dans la fourmilière, touchant parfois l'Africain dans ce que qu'il a de plus noble en tant que humain : sa dignité.

En effet, comment expliquer l'indifférence quasi générale du leadership africain face à une pauvreté aussi abjecte ou face à des guerres civiles devenues permanentes? Ainsi ne prend-t-il pas de gant quand M. Obama déclare : « C'est un arrêt de mort, pour toute société, que de forcer des enfants à tuer dans une guerre. C'est une marque suprême de criminalité et de lâcheté que de condamner des femmes à l'ignominie continuelle et systémique du viol ». De même, M. Obama tranche sans fioritures quand il affirme : « L'Occident n'est pas responsable de la destruction de l'économie zimbabwéenne au cours des dix dernières années, ni des guerres où des enfants sont enrôlés comme soldats ».

Sur l'état du droit sur le continent, le président américain n'est pas tendre non plus. En effet, comment comprendre l'obstination des détenteurs du pouvoir d'État et des gestionnaires des finances publiques à s'acheter absolument des voitures de luxe et des villas à la Côte d'Azur par des détournements massifs de deniers publics? Et, surprise pour M. Obama : comment comprendre le regard accompagnateur et complaisant de la jeunesse face à la confiscation de son avenir par des septuagénaires? Aussi interpelle-t-il cette jeunesse (qui représente numériquement la couche la plus importance de la population) par les termes suivants : « Le monde sera ce que vous en ferez. Vous avez le pouvoir de responsabiliser vos dirigeants et de bâtir des institutions qui servent le peuple. Vous pouvez servir vos communautés et mettre votre énergie et votre savoir à contribution pour créer de nouvelles richesses ainsi que de nouvelles connexions avec le monde. Vous pouvez conquérir la maladie, mettre fin aux conflits et réaliser le changement à partir de la base. Vous pouvez faire tout cela. Oui, vous le pouvez ».

En clair, « jeunesse africaine : aides-toi toi-même. Personne ne développera ton continent à ta place ».

Et que disait Nicolas Sarkozy à Dakar il y a deux ans ? « La renaissance dont l'Afrique a besoin, vous seuls, jeunes d'Afrique, vous pouvez l'accomplir parce que vous seuls en aurez la force ». Puis, le chef de l'État français ajoutait : « Jeunesse africaine, vous voulez la démocratie, vous voulez la liberté, vous voulez la justice, vous voulez le droit ? C'est à vous d'en décider. La France ne décidera pas à votre place.

Question d'intelligence pour profanes des choses africaines : pourquoi Barack Obama est-il applaudi alors que Nicolas Sarkozy fut médiatiquement «lynché» par la critique africaine ? Y aurait-il des vérités que l'Occidental n'aurait pas droit de dire? Quoi qu'il en soit, dans l'intérêt du dialogue franc entre peuples d'Occident et d'Afrique, il demeure souhaitable que les coutumes diplomatiques s'enrichissent de plus de pratiques nouvelles et dissidentes, et que davantage d'hommes-courage prennent parole sans censure aucune : n'en déplaise aux monarques et dictateurs «démocratiquement» élus d'Afrique.

Ph.D. en science politique et militant panafricaniste, l'auteur a écrit le livre L'Africain mérite-t-il respect? Ces vérités que les Blancs n'ont pas droit de dire (2009), aux éditions Les Diaspora.