On vient à peine de fêter les 30 ans d'existence des dispositions de la Loi sur la qualité de l'environnement ayant introduit la participation publique dans le processus de décision. Or, de nombreuses voix se sont élevées dernièrement pour questionner le rôle du BAPE et son fonctionnement.

Sans nier qu'une réflexion sur ces aspects pourrait s'avérer utile, demeure cette crainte à l'effet que si on devait ouvrir cette loi dans l'état actuel des choses, on y perdrait au change. Le prétexte de la crise économique ne semble laisser aucune place à une vision d'ensemble des projets de développement, à l'intégration de modes de développement plus soutenables et à la participation citoyenne au processus de décision. Dans le secteur énergétique, en grand bâtisseur que certains sont devenus, tout doit être construit et développé, des barrages aux ports méthaniers en passant par le nucléaire. Le tout, en récupérant le discours vert pour les projets qui s'en rapprochent, mais en évitant de l'appliquer à l'ensemble de notre planification énergétique, si tant est qu'il en existe une. Et en ignorant les conclusions du BAPE qui ne font pas notre affaire, telle l'obligation de réserver une rivière de la Côte-Nord en contrepartie du sacrifice de La Romaine (le ruban semblant presque déjà couper pour la première pelletée de terre sur la Petit Mécatina).

Outre les amendements apportés par le gouvernement fédéral à sa procédure d'évaluation environnementale pour accélérer les projets de développement municipaux - crise oblige - l'attitude des corps publics québécois nous semble plus préoccupante, par le mépris qu'ils affichent à l'égard du processus lui-même d'évaluation environnementale et d'audience publique.

Exemples récents de cette dérive est l'attitude des corps publics dans les dossiers de la Romaine et de la mine à ciel ouvert à Malartic. Dans le premier cas, Hydro-Québec avait déjà «monnayé» confidentiellement l'approbation des collectivités locales avant que ne débute les audiences. Dans le second cas, une partie des terrains de la ville a déjà été acquise avec la collaboration de la Ville qui s'est donné les moyens d'aider financièrement au rachat des propriétés et du gouvernement qui a adopté une loi à cet effet, avant même que le BAPE ne dépose son rapport.

Mépris des corps publics en ce que l'un des objectifs de la procédure du BAPE est d'évaluer la justification d'un projet à la lumière de ses impacts environnementaux et sociaux. Quand l'essentiel des habitants ont été évacués, qu'il ne reste qu'à creuser l'immense trou, que reste-t-il à évaluer ? Les impacts sur le milieu social ayant déjà été réalisés, il ne reste plus que les impacts des résidus miniers dont le gouvernement assume l'essentiel des risques financiers comme l'a déploré le Vérificateur général.

Dans ce contexte, pourquoi participer aux audiences publiques? Ne pourrions-nous pas espérer que le BAPE finisse par mettre ses culottes et se déclare inhabile à évaluer un projet approuvé d'avance ?

Le plus surprenant est de constater l'importance qu'accordent les citoyens et groupes environnementaux à cette procédure, au point d'investir des milliers de dollars en poursuites judiciaires pour forcer le gouvernement à en respecter les termes. Des citoyens investissent pour n'obtenir que le droit d'exprimer leur opinion sur un projet, qui sera ultimement décidé par un gouvernement qui, bien souvent, a déjà décidé du sort du projet avant que le BAPE n'ait été mandaté...

Si les citoyens perdent confiance en cet instrument, les débats se feront inévitablement mais dans un cadre plus conflictuel. Nous empruntons en ce sens les mots d'André Beauchamp :

« Sans lieu de débat, la contestation se voit refoulée dans la clandestinité où elle devient d'autant plus dangereuse qu'elle n'est pas reconnue socialement. Les gens allergiques à la consultation affirment que la consultation soulève des conflits. Je pense le contraire. La consultation constate les conflits, elle ne les crée pas. Plus encore elle contribue à les solutionner.»

Même les tribunaux ont rappelé, en ces termes, l'importance de cette procédure pour les citoyens : «Quelque soit l'étendue du pouvoir discrétionnaire du ministre et du gouvernement, il semble manifeste que le législateur, par l'économie générale de la loi, par la solennité de certaines dispositions et par l'octroi de règles procédurales, a consacré la participation du public. Ces dispositions ont été conçues pour assurer la participation du public et des parties intéressées (par le fait même) aux décisions qui ont un effet sur le sort de la communauté dans laquelle elles vivent».

Sans doute n'avons-nous pas besoin de grands amendements à la loi. Un simple rappel à l'ordre à nos gouvernements et institutions afin qu'ils respectent la lettre et l'esprit de leurs propres lois devrait normalement suffire en démocratie.

L'auteur est président de Nature Québec.