Je suis un médecin qui travaille au département de psychiatrie de l'Hôpital du Sacré-Coeur depuis 1996. Notre département est structuré depuis 1994 en cliniques spécialisées. Nous recevons au module d'évaluation externe des patients référés par leur médecin de famille. Après évaluation par un psychiatre, le patient est soit retourné à son médecin avec des conseils ou dirigé vers une clinique spécialisée (clinique des troubles anxieux, des maladies affectives, des troubles de personnalité, etc.).

Je suis un médecin qui travaille au département de psychiatrie de l'Hôpital du Sacré-Coeur depuis 1996. Notre département est structuré depuis 1994 en cliniques spécialisées. Nous recevons au module d'évaluation externe des patients référés par leur médecin de famille. Après évaluation par un psychiatre, le patient est soit retourné à son médecin avec des conseils ou dirigé vers une clinique spécialisée (clinique des troubles anxieux, des maladies affectives, des troubles de personnalité, etc.).

Quelque 96% des patients que nous recevons proviennent des médecins en cabinet privé et 4% des CLSC. Les médecins de famille (surtout en cabinets privés) étaient donc considérés jusqu'à maintenant comme la première ligne en santé mentale dans notre système de santé et les psychiatres comme la deuxième ligne. Le tout fonctionnait bien et les services étaient accessibles aux patients avec une attente acceptable.

Mais voilà que la réforme en santé mentale veut implanter une autre première ligne en CLSC. Je loue l'intérêt porté à la santé mentale, l'enfant pauvre de notre système de santé. Mais pourquoi implanter une seconde première ligne? Pourquoi ne pas renforcer la deuxième ligne?

La mise en place de cette réforme exige l'engagement de professionnels en CLSC ou encore, de déplacer des professionnels des départements de psychiatrie hospitaliers vers les CLSC. Dans ce dernier cas, il vise à «ajuster» les disparités d'effectifs entre les départements, plus particulièrement sur l'île de Montréal. Était-ce parce que certains départements étaient trop riches en effectifs ou que les autres départements étaient trop pauvres?

Dans la clinique où je travaille, nous avons deux professionnels non-médecins (un psychologue et une infirmière) pour répondre aux besoins en deuxième ligne d'un bassin de plus de 350 000 adultes! Nous traitons même beaucoup de patients hors de notre CSSS (il ne faut plus dire secteur).

Quoi qu'il en soit, l'implantation d'une autre première ligne dans les CLSC a débuté sur l'île de Montréal. Elle semble jusqu'à maintenant se faire à des vitesses très différentes selon les CSSS et être plutôt chaotique. Les fonctionnaires parlent du «problème de Montréal». La Régie de Montréal a récemment congédié sa responsable en santé mentale, reconnaissant peut-être ses propres lacunes. Les intervenants dans les CLSC sont inquiets.

Un problème qui semble souvent rencontré est la difficulté de recruter des médecins dans ces équipes en CLSC. Faut-il s'en étonner? La pénurie de médecins de famille est bien connue; de plus, comment ces médecins généralistes pourraient-ils répondre aux demandes de leurs confrères, là où il faut toute une équipe de psychiatres dans la deuxième ligne actuelle pour y répondre?

Donc, comment arrimer cette nouvelle première ligne aux première et deuxième lignes qui sont déjà en place? Dans une équipe de santé mentale sans médecins, qui évaluera si la médication prescrite est adéquate, suffisante ou optimale? Qui prescrira la médication dans cette nouvelle première ligne à laquelle la seconde ligne retournera les patients stabilisés?

De plus, s'est-on assuré que les nouveaux professionnels recrutés dans les CLSC avaient une formation en psychothérapie cognitivo-comportementale et/ou interpersonnelle, soit les deux seules approches validées par la recherche?

Le problème, c'est que beaucoup d'effort et d'argent sont actuellement investis dans cette réforme sans d'évidence pour moi que nous ajouterons beaucoup d'efficacité dans le système. Comme citoyen, payeur de taxes, je suis consterné de la gestion gouvernementale.

Et quand la réforme sera faite, si on estime qu'elle est peu/pas efficace, comment restructurera-t-on le tout? Si des professionnels ont été engagés, qu'ils n'ont pas une formation adéquate, mais ont acquis leur «permanence», qu'en ferons-nous?

Et dans tout cela, la deuxième ligne sous-outillée de nos départements de psychiatrie, avec des effectifs insuffisants voire inexistants, qui s'en soucie? Faut-il continuer de déshabiller cette deuxième ligne pour habiller une seconde première ligne?

J'ai bien peur que nous rations une opportunité de réformer la santé mentale et qu'en implantant une seconde première ligne, on retarde l'accès à des soins spécialisés, et qu'ultimement les patients en paieront le prix.

L'auteur est médecin à la clinique des troubles anxieux de l'Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal et professeur adjoint de clinique à l'Université de Montréal.