Malgré la crise économique, les présidents de l'aile jeunesse du Parti libéral du Québec et de l'organisme Force Jeunesse refusent que le gouvernement ne suspende ses versements au Fonds des générations. En plus de prioriser le remboursement de la dette au détriment de la relance économique, la défense enthousiaste du Fonds montre combien ces organisations persistent à le voir comme une mesure progressiste de « justice intergénérationnelle » alors qu'elle a été dans les faits proposée suite aux pressions des Lucides, qui préconisent l'austérité fiscale et la réduction de la taille de l'État.

C'est la publication du Manifeste pour un Québec lucide, en octobre 2005, qui ramène à l'avant-scène l'idée qu'il faille à tout prix rembourser la dette, sous prétexte qu'elle serait d'une taille alarmante et minerait les finances publiques du Québec, le tout au moyen de redevances sur l'hydroélectricité et de hausses de tarifs: « Le président du Mouvement Desjardins (...) a déjà proposé que les tarifs d'électricité soient augmentés et qu'une part déterminée des profits d'Hydro-Québec soit consacrée au remboursement de la dette (...) Nous endossons cette proposition, en précisant qu'à notre avis, la hausse des tarifs d'électricité devrait être à la fois substantielle et progressive ».Un mois après la publication du manifeste lucide, une Coalition jeunes pour le remboursement de la dette, formée de groupes comme le Regroupement des jeunes gens d'affaires du Québec, la FEUQ et Force Jeunesse, signent un texte qui reprend le constat alarmiste des Lucides et appelle au remboursement accéléré de la dette. Le gouvernement proposera ensuite la création d'un Fonds des générations dans le Budget Audet 2006-07. Sans cette « couverture jeunesse », le projet n'aurait pas eu la même légitimité dans l'espace public. Mais était-il vraiment urgent de consacrer des centaines de millions à un tel fonds?

Comme le soulignait le Manifeste pour un Québec solidaire publié entretemps, l'analyse « lucide » dramatise la situation de la dette, pourtant comparable à celle des autres pays de l'OCDE, en plus d'ignorer qu'« une partie importante de la dette québécoise sert à hausser la capacité productive de l'économie nationale. Elle permet le soutien de l'État aux technologies, aux infrastructures, à la recherche fondamentale, à l'éducation, à la qualification de la main d'oeuvre, à la diminution des inégalités. Elle peut dans ces cas rapporter plus qu'elle ne coûte en intérêts et services ». Bref, il n'allait pas de soi qu'il faille éliminer la dette dans la mesure où elle est en bonne partie un outil collectif qui permet au gouvernement d'intervenir à grande échelle.

De plus, Le Fonds prive dans l'immédiat l'État de revenus disponibles qui pourraient être investies dans les services publics ou pour engager des mesures anticycliques de relance économique. Paradoxalement, il n'accélére pas significativement le remboursement de la dette, qui se réduit déjà en proportion du PIB . Dans les faits, l'impact du Fonds est marginal sur le long-terme, mais très nuisible dans l'immédiat, puisqu'il engage des sommes qui pourraient autrement augmenter la marge de manoeuvre de l'État. Cette marge a été réduite par des baisses d'impôts - 10 millards en 10 ans - consenties principalement aux mieux nantis, et elle est déjà presque vide, ce qui inhibe la capacité du gouvernement à réagir à la crise économique qui ne fait que commencer.

Le Fonds se révèle être une mesure dont les impacts socio-économiques immédiats sont néfastes, sans que le bénéfice à long terme soit au rendez-vous. La mesure sert avant tout l'image médiatique du gouvernement et sa réputation auprès des firmes de cotation comme Moody's. Du reste, cette politique mal avisée d'accumuler dans un fonds des sommes ensuite placées sur les marchés boursiers se vérifie amèrement aujourd'hui par la perte considérable de leur valeur. La «jeunesse lucide» ne semble pas avoir retenu la leçon.

Alors qu'il serait grand temps d'engager des réflexions sur des modèles alternatifs au capitalisme et à ses crises répétées, tant écologiques que sociales, les organisations jeunesse persistent à prioriser le remboursement de la dette et à défendre le Fonds. Or, il ne s'agit pas d'une mesure de justice sociale. C'est un « écran de fumée » qui coûte cher à alimenter et qui prive l'État de revenus disponibles dont il aurait bien besoin pour intervenir dans l'économie et minimiser les effets de la crise.

De plus, loin de régler quelque « injustice intergénérationnelle », son financement accablera à terme les travailleurs et travailleuses de hausses de tarifs. On ne voit pas comment continuer, dans les circonstances, de verser de l'argent au Fonds bénéficierait de quelque façon à la population du Québec, ni aux générations futures qui hériteront de services publics fragilisés.

L'auteur est doctorant en science politique à l'Université d'Ottawa.