Au nom de la Nation crie d'Eeyou Istchee, je me dois d'exprimer notre profonde déception et notre indignation quant au double standard manifesté par le gouvernement du Québec par son refus d'aborder de front les sévices vécus par les femmes autochtones à Val-d'Or comme ailleurs dans la province.

Il y a plus d'un an, des femmes autochtones de Val-d'Or ont pris la parole pour dénoncer des cas d'agressions physiques et sexuelles subies aux mains de certains policiers de la Sûreté du Québec (SQ). Leur exemple a mené d'autres femmes autochtones, ailleurs au Québec, à dénoncer les sévices dont elles avaient été victimes.

Le gouvernement du Québec a d'abord tenté de minimiser ces événements. Il a dans un premier temps confié à la SQ le mandat d'enquêter sur ses propres officiers. Des mois plus tard, lorsque Radio-Canada a rendu l'histoire publique, Québec a changé son fusil d'épaule et a confié l'enquête au Service de police de la Ville de Montréal.

La semaine dernière, plus d'un an après la diffusion du premier reportage sur l'affaire, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a conclu qu'aucune des 38 plaintes de femmes autochtones contre des policiers de la SQ ne donnerait lieu à une poursuite. Ou plutôt, deux accusations ont été portées, mais dans une autre région, l'une contre un policier ayant pris sa retraite il y a 10 ans, et l'autre contre un policier autochtone !

Cette semaine, la SQ a annoncé la mise sur pied d'un deuxième poste de police à Val-d'Or. Des agents autochtones et non autochtones y seront affectés. À première vue, cette mesure peut sembler un pas dans la bonne direction. Cependant, la SQ tente d'embaucher ces policiers autochtones au sein de corps policiers des Premières Nations du Québec, qui sont déjà à court de personnel et sous-financés.

On ne fait donc que changer le mal de place, et ce sont encore les Premières Nations qui écopent.

Depuis plus d'un an, les Premières Nations du Québec réclament une commission d'enquête provinciale, ayant le pouvoir d'assigner des témoins à comparaître, afin d'exposer le racisme systémique sous-jacent à la discrimination policière à l'égard des femmes autochtones. Le Québec s'oppose à cette demande.

En août, 10 mois après que les événements de Val-d'Or eurent été rendus publics, Québec a entamé de timides actions. Le gouvernement s'est borné à déléguer sa responsabilité d'examiner les relations entre les forces policières québécoises et les femmes autochtones à l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, créée par le gouvernement fédéral. Or, le Canada défraie l'ensemble des coûts de l'enquête dont le rapport périodique ne sera déposé que le 1er novembre 2017 et le rapport final, au minimum le 1er novembre 2018, soit après les prochaines élections au Québec.

La réaction de Québec est insuffisante. L'Enquête nationale est d'une importance capitale, mais il s'agit d'un exercice pancanadien. Son mandat couvre toutes les provinces et tous les territoires, et un vaste éventail de questions. Malgré la bonne volonté de ses acteurs, l'Enquête nationale ne disposera pas du temps et des ressources nécessaires pour analyser de façon exhaustive les abus policiers à l'égard des femmes autochtones au Québec.

Cette démarche s'apparente à une tentative de « noyer le poisson » : on enterre les abus policiers à l'égard des femmes autochtones au Québec dans une foule d'autres enjeux qui seront examinés lors de l'Enquête nationale, tant et si bien que la question risque de sombrer dans l'oubli.

Québec fait valoir qu'une enquête provinciale indépendante prendrait trop de temps - de quatre à cinq ans -, qu'elle serait trop coûteuse et qu'elle augmenterait la frustration ressentie par les femmes autochtones. Aucune de ces objections ne tient la route.

Il y a plus d'un an, nous avions proposé une enquête provinciale ciblée sur l'inconduite policière à l'égard des femmes autochtones à Val-d'Or et ailleurs au Québec, de même que sur ses causes. Notre proposition était calquée sur l'enquête Stonechild tenue en Saskatchewan en 2003 et 2004. Celle-ci n'a duré que 18 mois, de sa création au dépôt de son rapport. Si le Québec avait accepté notre proposition, une enquête provinciale serait sur le point de déposer son rapport.

Quant aux hésitations liées au coût d'une telle démarche, il est étrange de constater que cet argument n'a pas été invoqué par Québec au moment de mettre sur pied une commission d'enquête sur la surveillance policière de journalistes, quelques jours seulement après que cette histoire eut été rendue publique. La question des coûts n'a pas plus été évoquée lorsque Québec a annoncé un plan stratégique de 200 millions afin de lutter contre la violence sexuelle à l'égard des femmes, notamment sur les campus. Comment peut-on justifier cet épouvantable double standard ?

Un message clair est ainsi envoyé : les femmes autochtones, et les populations autochtones dans leur ensemble, comptent moins que les autres Québécois.

Le gouvernement maintient de plus qu'une enquête indépendante provinciale ne ferait qu'augmenter la frustration des femmes autochtones. C'est jouer avec les mots puisque ce sont les femmes autochtones elles-mêmes qui réclament la commission d'enquête provinciale. 

L'argument le plus ahurissant mis de l'avant par Québec est que les autochtones eux-mêmes ne veulent pas d'une commission d'enquête provinciale indépendante. Mais qui sont ces autochtones ? Le chef régional de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard, a déclaré cette semaine que les femmes autochtones et les Premières Nations du Québec réclament une enquête provinciale indépendante depuis plus d'un an. Est-ce que Québec fait la sourde oreille ? Depuis quand le gouvernent parle-t-il au nom des Premières Nations ? Pourquoi Québec résiste-t-il si fort à la tenue d'une commission d'enquête provinciale ?

La Nation crie, à l'instar de l'APNQL, de l'APN, de la FAQ, de la Ville de Val-d'Or, du Parti Québécois, de Québec solidaire, des syndicats et des organisations non gouvernementales, demande la tenue d'une enquête provinciale indépendante sur les relations entre les populations autochtones, la police et l'appareil judiciaire. Il s'agit de la seule façon de réparer un système brisé.

Le gouvernement du Québec doit démontrer son engagement envers une justice égale pour tous et s'attaquer au racisme systémique sous-jacent à la discrimination policière par la tenue d'une commission d'enquête provinciale indépendante, et ce, sans délai. La Nation crie est prête à travailler avec le gouvernement afin de faire ce qui s'impose.