Les journalistes et les médias jouissent-ils d'une immunité constitutionnelle qui les met à l'abri de toute perquisition policière ? Manifestement, la réponse est non.

Est-ce donc dire que les médias ne jouissent d'aucune protection particulière et qu'ils se retrouvent dans la situation d'un citoyen ordinaire qui fait l'objet d'une perquisition ? La réponse à cette question est également non.

À plusieurs reprises, la Cour suprême du Canada a rappelé le « rôle primordial » que les médias jouent dans une société démocratique et que, par conséquent, il faut leur reconnaître un statut particulier lorsqu'ils font face à des perquisitions.

Pour obtenir un mandat de perquisition ordinaire, les autorités doivent convaincre le juge de paix qu'il y a des motifs raisonnables de croire que la perquisition fournira une preuve touchant la commission d'une infraction.

Ce test de base qui vaut pour le citoyen ordinaire n'est pas suffisant pour une perquisition visant les médias. La Cour suprême a élaboré huit autres facteurs (« les critères Lessard ») que le juge de paix doit prendre en considération avant d'octroyer le mandat.

Le juge de paix doit entre autres s'assurer d'avoir bien pondéré d'une part l'intérêt de l'État à découvrir et à poursuivre les criminels et, d'autre part, le droit des médias à la confidentialité des renseignements dans le processus de collecte et de diffusion des informations.

Ensuite, les autorités policières doivent informer le juge de paix s'il y a d'autres sources de renseignements raisonnables et, le cas échéant, doivent le convaincre que ces sources ont été consultées et ont été épuisées. Si les autorités ne font pas cette démonstration, le juge de paix a l'obligation de refuser le mandat.

UN MANDAT ILLÉGAL ?

Dans le cas de Patrick Lagacé, qui est sans précédent dans les annales judiciaires, il faut se demander si l'octroi du mandat satisfait même au test de base. Si le véritable but de la perquisition est de dénicher les sources du journaliste et non pas de chercher la preuve de la commission d'une infraction, le mandat est manifestement illégal.

Même si l'octroi du mandat satisfait aux conditions du test de base, le juge de paix aurait dû poser de sérieuses questions aux enquêteurs quant à l'existence d'autres sources d'information.

Un juge de paix se doit d'appliquer les critères de Lessard rigoureusement. Comme la Cour suprême l'enseigne, il faut éviter à tout prix de transformer la presse en service d'enquête de la police. C'est pour cette raison que même dans les cas exceptionnels où l'on satisfait aux critères Lessard, le juge de paix doit examiner l'imposition de conditions à l'exécution du mandat, de façon que le média ne soit pas indûment empêché de publier ou diffuser des informations.

Dans certaines juridictions aux États-Unis, la loi interdit la saisie de matériaux entrant dans le produit du travail des médias sauf quand il y a une raison probable de croire que la personne en possession de ces matériaux a elle même commis ou est en train de commettre une infraction criminelle à laquelle ils se rapportent, ou quand il y a une raison de croire que la saisie immédiate de ces matériaux est nécessaire afin d'éviter qu'un être humain ne meure ou ne soit gravement blessé. Les politiciens qui se disaient « préoccupés » ces derniers jours par la surveillance d'un chroniqueur de La Presse devraient peut-être songer à adopter une loi semblable sur la protection des sources journalistiques.