Un patient qui refuse la chimiothérapie que je lui propose, c'est tout à fait légitime et il en a le droit. Mon rôle comme chirurgien oncologue est de m'assurer que les motifs de son refus sont réels et qu'il a bien compris les implications de cette décision afin qu'il prenne une décision éclairée. Ne pas accepter de recevoir une chimiothérapie qui vous est proposée ne signifie pas que vous ne guérirez pas. À l'inverse, en recevoir ne signifie pas à coup sûr que vous serez guéri.

Lorsqu'indiquée, la chimiothérapie améliore les chances de guérison, mais elle ne fait pas tout le travail. Il y a aussi la chirurgie, la radiothérapie et la chance !

Choisir la chimiothérapie lorsqu'elle est indiquée, c'est choisir une approche « prudente ».

Certains conduiront toute leur vie à 140 km/h et n'auront jamais d'accident, est-ce suffisant pour que tout le monde roule à 140 km/h sur nos routes ? Un patient qui décide en toute connaissance de cause de ne pas recevoir de chimiothérapie, c'est son choix, c'est une décision toute personnelle et ça lui appartient.

Mais quand il part en plus en croisade, en basant son raisonnement sur de fausses prémisses, contre le choix de certains patients d'accepter de subir de la chimiothérapie, c'est odieux, c'est du mépris, c'est du délire. C'est faire la démonstration d'un ahurissant manque de jugement et de compassion à l'endroit de ses concitoyens. Mon rôle social comme intervenant dans le domaine est de corriger le tir, de désamorcer un processus négatif enclenché par un ignorant qui base son analyse sur des anecdotes et des expériences personnelles.

Quand l'ignorant, d'une impertinence démesurée, profite d'une grande visibilité médiatique pour diffuser son propos, cela devient délétère et met littéralement en danger certains patients qui feront ensuite de mauvais choix, des choix qui ne seront pas les leurs. Dans ce cas, comme médecin, je ne peux rien faire d'autre que de dénoncer, comme d'autres de mes respectés collègues l'ont fait, une situation préjudiciable pour mes patients.

Le message véhiculé depuis quelques jours est frauduleux. C'est du délire. L'argumentaire est faux, les sources sont non fiables ou dépassées.

Ceux qui ont permis cette orgie de faussetés sont aussi responsables des effets « collatéraux » que j'ai observés cette semaine auprès de mes patients. C'est grotesque et du plus bas niveau. La meilleure chance que l'on a de guérir un cancer est lors de l'événement initial. Une rechute est souvent synonyme de faible chance de guérison. Le message propagé risque d'entraîner une mauvaise évaluation du risque par certains patients.

DU CHARLATANISME

Le message entendu répond à la définition du charlatanisme. Il propose une conduite médicale médiévale qui va à l'encontre de toutes les recherches récentes dans le domaine. À mon avis, le Collège des médecins du Québec devra étudier ce qui vient de se produire et prendre position, car la protection du public est en jeu.

Voici quelques exemples faciles à vérifier de ce qu'a permis la chimiothérapie au cours des 20 dernières années (des stagiaires-recherchistes auraient pu faire le travail) :

- Les chances de guérison des femmes aux prises avec un cancer du sein étaient de 60 %, elles sont maintenant de 85 % ;

- Les chances de guérison d'un patient aux prises avec un cancer du côlon de stade III étaient de 65 %, elles sont désormais de 70 à 75 % ;

- La survie d'un patient aux prises avec un cancer du côlon de stade IV non curable était de 9 mois, elle est maintenant de plus de 30 mois ;

- Les chances de guérison d'un leucémique étaient nulles, il est maintenant possible de guérir un grand nombre de leucémiques.

Le mal est fait, car certains n'ont pas fait leur travail. Il y a probablement des motivations qui ne s'énoncent pas sur la place publique pour expliquer ce qui vient de se produire. En dénonçant la situation, j'aurai au moins assumé mon rôle social. Je pense que ce message devrait être publié, comme ceux de mes collègues, afin de faire un brin de contrepoids à la bombe qui vient d'être lancée.