Comment ont réagi les gens du troisième âge en regardant les athlètes des Jeux ?

Quel a été leur regard sur ces femmes et ces hommes dont la devise semblait être : « À l'impossible tous sont tenus » ? Car si chaque athlète, devant le défi à relever à la face du monde, se dit sans doute, pour s'enlever de la pression : « Fais ce que tu peux », c'est pour s'en remettre une autre : « Fais ce que tu ne crois pas possible de faire ».

En voyant ces êtres humains avoir une prise étonnante sur leur corps, les personnes âgées ont eu, sans doute, « un secret regret de vieillir » (Antoine de Saint-Exupéry).

Car « un signe des plus évidents de la vieillesse, dit pertinemment André Miguel dans Les vieux jours, est que les choses deviennent rétives. Elles l'avaient été de tout temps, mais nous les avions mâtées [...], nous les réduisions au silence. Et maintenant, elles prennent leur revanche. »

De fait, que de choses, qui hier nous obéissaient promptement, se moquent aujourd'hui de nous, à commencer par notre corps ! Il se permet de faire des faux pas, d'échapper et de renverser des objets familiers, de prendre quatre fois plus de temps pour accomplir des besognes coutumières ou parcourir un trajet connu, de ne consentir à monter un escalier que s'il y a une rampe, etc.

En déficit d'énergie, il nous est arrivé d'hésiter à ouvrir la télévision avec ses images des Jeux. À notre âge, nous avions peur de nous dire : « Nous avons mal au temps ».

Mais pourquoi serions-nous envieux de la maîtrise qu'ont les athlètes de leur corps ? Elle est idéale, soit, mais elle passera avec les années. Par contre, il y en a une qui, loin de perdre de la force, en gagne avec le temps.

Comme « il n'y a pas de prise sur Dieu, sauf par l'amour » (André Miguel), de même pour le corps. C'est par son amour, avec ses pertes, que nous le gagnerons, que nous le posséderons à nouveau. Car il ne suffit pas de se résigner au vieillissement, comme Fontenelle qui, très âgé, à quelqu'un qui lui demandait comment cela allait, a répondu : « Cela s'en va, mon ami, cela s'en va. » Se résigner ne donne rien. Mais il y a pire que se résigner, c'est se révolter, comme le Don Diègue vieillissant de Corneille : « Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! » Que dire maintenant de ceux qui se découragent de durer ? S'ils partageaient l'insouciance d'un vieil arbre oublié dans la plaine...

Le moine allemand Anselm Grün, célèbre psychiatre, recommande de « s'obliger à tout aimer en soi, même cette part d'ombre où l'on se découvre minable, tellement inacceptable. Accepter ces côtés ingrats, décourageants ».

C'est un travail sur soi qui est colossal, comme celui de tout aimer dans notre corps. Peu de personnes, à ce que je crois, arrivent à achever cette besogne titanesque, mais qu'importe ! Comme disait Pierre de Coubertin, le fondateur des olympiades de l'ère moderne : « L'important dans la vie, ce n'est pas de triompher, c'est de combattre. L'essentiel n'est pas d'avoir vaincu, mais de s'être bien battu. »

Les athlètes ont de leur corps une maîtrise impressionnante, pourtant elle passera avec les années. Mais il y en a une autre qui, les années passant, loin de s'étioler, au contraire s'affermit. C'est la maîtrise que donne, non pas la force tout court, mais la force de l'amour. S'obliger à aimer les résistances de notre corps à répondre à nos impératifs, son peu d'endurance face à nos défis, sa minable contribution à nos désirs de santé, son insouciance devant nos voeux de bien paraître.

S'obliger à aimer, en particulier, son visage un peu ridé et assombri, qui n'a plus la douceur et la délicatesse de la jeunesse. À aimer même nos cheveux, sans nous donner trop de peine pour en « magnifier » la couleur...

Dans notre culture du jeunisme, il faut compter sur un miracle pour en arriver à l'amour d'un corps qui a pris de l'âge.

L'image correcte, normale, que la société projette, c'est celle de l'individu jeune, dynamique, décideur, etc., que l'on oppose à celle de l'âgisme, qui refuse le vieux, jusqu'à le mettre à l'écart.

En nous inspirant de la ténacité à toute épreuve des athlètes des Jeux olympiques, il s'agit pour nous, me semble-t-il, gens du troisième âge, de nous engager à fond dans cette ultime aventure d'aimer autant la part minable que la part admirable de notre corps.

Car la première nous force à sortir de nos derniers retranchements, ceux du faire coûte que coûte, faire n'importe quoi, mais faire ! Elle nous contraint à passer à l'être, à la primauté de l'être, ce qui aurait toujours dû être notre choix.

La part pauvre, vile, méprisable de notre corps peut même nous amener, pour reprendre une très belle expression de Bertrand Vergely, à « un surcroît d'être ». En possession d'une pareille surabondance, nous pouvons dire aux jeunes, nous qu'on tient souvent pour « périmés », bons à rien : « Nous donnons le trop-plein de notre tendresse, de notre bonté, de notre sagesse, le trop-plein de notre amour. » Alors, les défaillances de notre corps, si nous les aimons, sont une bénédiction pour la jeune génération.