Quand je vous ai annoncé, en classe, que je ne serais plus là l'année prochaine, j'avais envie de pleurer. C'est difficile de projeter sa voix pour que trente élèves l'entendent quand on retient ses larmes. Difficile aussi de parler avec son coeur quand il bat jusque dans nos oreilles.

J'ai voulu devenir enseignante à cause du drôle de personnage qu'est Mademoiselle Charlotte dans le roman La nouvelle maîtresse de Dominique Demers. À l'image de cette enseignante discutant avec son caillou Gertrude, j'avais envie de vous apporter un peu de chaleur et de folie. Ce que je n'avais pas compris, c'est que c'est vous tous, chers élèves, qui me transformeriez pour la vie.

Je me souviens de ma première rentrée scolaire dans votre école. Lors de l'accueil, à la cafétéria, alors que je m'approchais du micro pour nommer les élèves de ma classe titulaire, un des surveillants m'a demandé d'aller rejoindre « mes amis » en vous pointant. Vous en étiez à votre première journée du secondaire, et moi, j'avais 25 ans. Depuis, cinq années ont passé, les nouveaux visages se sont multipliés et ces élèves du premier jour obtiennent leur diplôme cette année.

Je ne saurais vous dire à quel point je suis fière de faire partie de votre grande famille.

Au retour d'un voyage de coopération en Afrique, cet hiver, une de mes élèves a écrit dans le journal de l'école que, bien que nous soyons allés là-bas pour enseigner aux enfants, c'est assurément eux qui nous ont le plus appris. Bien sûr, nous avons tenté de leur montrer à lire et à compter, mais, de leur côté, ils nous ont prouvé qu'on peut être heureux avec bien peu. Avec du recul, j'ai envie de vous dire qu'il n'y a pas que ces enfants qui m'ont fait réaliser ce qu'est le bonheur, mais aussi les quelques centaines d'ados dont vous faites partie et qui, depuis toutes ces années, réchauffent les bancs de mes classes.

On ne parle pas souvent en bien des adolescents qui colorent nos écoles. C'est d'ailleurs totalement terrorisée que je me suis présentée devant mon premier groupe. La vérité, c'est que je n'avais pas de raison de m'inquiéter. D'une semaine à l'autre, d'un mois à l'autre, d'une année à l'autre, vous m'avez appris à ne pas craindre d'être celle que je suis. Ainsi, devant vous, j'ai ri, je me suis trompée, je me suis fâchée, je me suis excusée. Avec vous, j'ai pleuré, j'ai écouté, j'ai raconté. Grâce à vous, j'ai compris que, l'important, c'est vraiment de faire de son mieux et pas seulement quand on est élève.

Enfin, si je pars cette année, si je prends mon envol comme tous ces élèves ayant lancé leur mortier, ce n'est pas pour arrêter d'enseigner, bien au contraire, car une autre classe m'attend certainement quelque part, à la campagne, où j'ai choisi de m'installer. Si je vous dis au revoir, c'est parce que vous m'avez donné le courage de foncer, le courage de risquer, le courage d'espérer. Et, pour tout cela, jamais je ne saurai assez vous remercier. N'ayez crainte : je ne vous oublierai pas. Mieux encore, je vous aimerai toujours,

Votre Mme A