C'était un matin comme les autres. J'étais en route vers mon prochain patient.

Je regarde rapidement le dossier du client : retrait d'agrafes. La routine.

Lorsque mon client ouvre la porte, j'aperçois un sourire éclatant dans un fauteuil roulant. « Good morning ! » me dit-il avec un entrain qui donne le goût de lui rabattre un high five !

Je fais mon travail. On jase. On rit. Je lui demande quel malheur l'a cloué à son fauteuil. Il me répond :  « J'ai été victime d'un accident de moto il y a une trentaine d'années. Mon oncle conduisait et j'étais son passager. Mon oncle s'en est sorti avec des blessures mineures. J'ai perdu l'usage de mes deux jambes ». Il avait alors 13 ans.

Je ravale. Je retiens mes larmes. Mon patient a pratiquement mon âge.

Je dois rester concentrée. Il me reste une trentaine d'agrafes à retirer. Pas de place pour les larmes, encore moins pour les tremblements.

Je me ressaisis.

Je lui demande ce qu'il trouve le plus difficile dans sa réalité de paraplégique et il répond, sans hésitation :  « La difficulté d'accès aux lieux publics. »

Il poursuit : 

« Je suis originaire de Vancouver, et ce qui me manque le plus de cette ville, c'est de loin la qualité des infrastructures adaptées pour les personnes à mobilité réduite. »

Il en remet : 

« Je ne me suis jamais autant senti handicapé qu'à Montréal. »

Je ravale encore. Je me sens mal d'avoir deux jambes fonctionnelles et de tenir cette réalité pour acquise.

Il me défile les exemples du manque d'accessibilité, en gardant son sang-froid : les métros, les restos, les trottoirs glacés et enneigés durant l'hiver qui le paralysent chez lui, etc.

J'ai honte. Honte de ma ville. Honte de notre condescendance collective par rapport aux handicapés.

Je termine mon travail.

Il me remercie avec un sourire empreint d'espoir.

Je le salue avec la gorge nouée.

Ce n'était finalement pas un matin comme les autres...