Le projet de loi sur les lanceurs d'alerte ressemble à un petit bouclier lancé à une foule. Il protégera quelques dénonciateurs, mais la plupart resteront vulnérables. C'est à leurs risques et périls qu'ils devront démasquer la corruption et la collusion. Si on voulait les abandonner, on n'agirait pas autrement.

Le gouvernement Couillard se félicite malgré tout. C'est un « premier grand pas », s'est réjoui le ministre Martin Coiteux, lors du dépôt du texte en décembre dernier. En effet, c'est mieux que rien. Mais s'en satisfaire, ce serait manquer un peu d'ambition...

Si Québec reconnaît que la protection est incomplète, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout ? Ce ne serait pourtant pas si compliqué.

Les trous du projet de loi libéral sont connus : il couvre les employés des secteurs public et parapublic, mais pas ceux des municipalités ni des contractants privés du gouvernement.

Ce régime n'aurait pas aidé Stéphanie Bédard, ex-patronne de l'Association des entrepreneurs en maçonnerie, congédiée parce qu'elle voulait parler à la commission Charbonneau (CEIC). Ni Karen Duhamel, ex-ingénieure de Génivar ostracisée après avoir dénoncé les « mottons d'argent » qui s'échangeaient sur les chantiers.

La corruption et la collusion sont par définition cachées. Les témoins proches sont donc indispensables pour les dévoiler. Mais ils sont aussi plus vulnérables à des représailles.

Le gouvernement Charest avait quelque peu renforcé leur protection. Depuis 2011, le commissaire de l'UPAC doit écouter et protéger les dénonciateurs des secteurs public et parapublic. Cela demeure toutefois très insuffisant, a démontré la commissaire Charbonneau. Son rapport recommande de protéger « tous les lanceurs d'alerte », y compris ceux du municipal et du privé. Et de leur offrir cette protection, peu importe s'ils s'adressent aux autorités, à leur employeur ou aux médias.

Plusieurs associations de syndiqués et cadres l'ont aussi réclamé. Tout comme l'Unité permanente anticorruption, dont c'était même la première recommandation à la CEIC. « Il se dégage un consensus sur la nécessité de favoriser la dénonciation de bonne foi, et ce, autant pour les employés du secteur public que pour ceux du secteur privé », y lisait-on. Ce consensus ne s'était pas encore rendu jusqu'au Conseil des ministres lors du dépôt du projet de loi. 

Le nouveau responsable du projet de loi, Sam Hamad, a heureusement changé le ton cette semaine. Il se montre désormais ouvert à élargir la protection au municipal, et peut être ailleurs.

Deux changements restent à faire : inclure aussi le secteur privé, et protéger les dénonciateurs même lorsqu'ils s'adressent aux médias.

Selon le projet de loi actuel, la dénonciation doit être transmise aux autorités. Seule exception qui permet d'être protégé, même si on s'adresse d'abord aux médias : s'il y a un « risque grave » pour la santé, la sécurité ou l'environnement. On exclut ainsi le détournement de fonds publics, comme la fraude sur nos chantiers. Et on inverse le fardeau de la preuve, en exigeant que le dénonciateur fasse cette démonstration.

Peut-être que Québec devrait se souvenir de François Beaudry. En 2003, cet ex-ingénieur du ministère des Transports avait révélé à la Sûreté du Québec le truquage d'appel d'offres dans le grand Montréal. Six années plus tard, rien n'avait bougé. Il ne faudrait pas que l'histoire continue de bégayer.