« Les Canadiens ont besoin de données exactes et fiables pouvant servir de fondement au processus démocratique de prise de décisions », dixit le site internet de Statistique Canada. L'agence de statistique de renommée internationale s'est fait malmener ces dernières années, tant par des coupes budgétaires que par l'imposition de changements méthodologiques qui ont diminué la fiabilité du recensement de 2011.

Sur fond de compromis entre perceptions de respect de la vie privée et de devoir citoyen, le gouvernement conservateur a fait passer le formulaire long obligatoire (20 % des ménages) à l'Enquête nationale des ménages (33 % des ménages, sans obligation). Le statisticien en chef de Statistique Canada, Munir Sheikh, avait alors démissionné en guise de protestation.

Pour les non-initiés en statistique, il faut expliquer les conséquences de ce changement méthodologique. Bref, plus la taille d'un échantillon prélevé au hasard est élevée, plus celui-ci sera représentatif de la population en général. Le taux de 20 % des ménages canadiens sondés en 2006 représentait un seuil optimal entre bénéfices sous forme de fiabilité et coût d'administrer une plus importante collecte de données. 

Cela s'applique toutefois lorsque les répondants ont l'obligation de répondre (taux de réponse en 2006 de 94 %). La donne change lorsqu'un questionnaire devient optionnel (taux de réponse en 2011 de 69 %) et si certains sous-groupes ont une propension différente à compléter le questionnaire. Dans ce cas, les résultats deviennent alors biaisés et ne représentent plus nécessairement la population canadienne. Les groupes qui ont un taux de réponse plus faible que la moyenne incluent notamment les peuples autochtones, les immigrants, ceux qui reçoivent une forme d'aide sociale et les ménages les plus fortunés.

Premièrement, le fait que les pôles extrêmes de richesse répondent moins que la classe moyenne est problématique, d'autant plus que la grande récession s'est produite après le dernier recensement où le formulaire long était obligatoire.

Puisqu'il est maintenant difficile de mesurer de manière fiable les conséquences du ralentissement économique chez les plus pauvres, les politiques à mettre en place pour les contrer se butent alors à une marge d'erreur plus importante.

Alors que nous sommes à l'heure où l'on s'inquiète de la montée des inégalités en Occident et des pressions accentuées sur la classe moyenne, nous sommes bien mal équipés, au Canada, pour étudier ces questions comme il se doit. Bien des chercheurs canadiens se tournent désormais vers les données américaines pour brosser un portrait plus fidèle de la situation post-récession, ce qui est loin d'être idéal, étant donné les nombreuses différences entre nos deux pays.

Ensuite, dans un pays où l'immigration internationale explique l'essentiel de la croissance de la population, il faut pouvoir se donner les moyens d'évaluer l'intégration de ceux-ci à notre société. Le recensement d'autrefois contenait des données fiables au niveau de secteurs de recensement comptant de 2500 à 8000 personnes. Cela était utile pour établir les enveloppes à répartir entre les différentes régions géographiques. Les données de 2011 à ce niveau sont cependant jugées problématiques dans un trop grand nombre de cas pour être utiles. Cela entraîne des coûts qui sont alors externalisés aux gouvernements municipaux, qui n'ont d'ailleurs pas le même degré de comparabilité que des données recueillies par une agence centralisée.

Le nouveau gouvernement libéral a promis de rétablir le formulaire long pour le recensement de 2016. Les économistes et l'ensemble de la communauté scientifique veulent s'assurer que les préparatifs sont déjà en cours pour ce retour à la normale.

Place au devoir citoyen de répondre au formulaire long en moyenne tous les 25 ans, et bonne collecte de données !