Hier, j'ai posé un grand geste. Je me suis rendu dans une église de mon quartier où on m'a donné un papier tout plié et un petit bout de crayon de rien du tout.

Un crayon tout ce qu'il y a de plus petit, à la base sans intérêt et dont la mine ne semble pas pouvoir porter conséquence, sinon que de faire un ou deux gribouillages amusants sur un papier quelconque. Mais pas plus, tellement il est court. Et en plus, il était d'un brun moche, ennuyant.

J'ai pris ce petit crayon de rien du tout. Je me suis caché derrière un paravent de carton. J'ai déplié le petit bout de papier. Je l'ai regardé, examiné. Et je me suis rendu compte qu'avec ce petit crayon de rien du tout et avec ce papier plié, j'avais en moi le pouvoir.

Le pouvoir de m'exprimer. Le pouvoir d'endosser ou de désavouer. Le pouvoir faire changer les choses ou le pouvoir de ne rien faire. Le pouvoir d'avoir une influence sur la destinée future de mon quartier, de ma ville, de ma province, de mon pays, de mes concitoyens.

Et qu'avec les vingt-deux millions et demi autres personnes comme moi, collectivement, nous allions décider à quoi ressemblerait le Canada de demain.

J'ai lu les noms sur le papier. Tous les noms. De haut en bas. Et ensuite, je les ai relus une fois de plus, car tout d'un coup, je ne voulais pas me tromper. J'ai le droit de faire un dessin, un seul en forme de X. Dans un des ronds. Ni plus ni moins, sinon mon dessin sera refusé.

Alors j'ai fait mon dessin. Mon X. Avec fermeté, avec décision, avec énergie. Avec importance.

Et là, j'ai tout de suite pensé à tous ces gens pour qui ceci n'arrivera jamais. Au petit Alan Kurdi dont la photo a fait le tour du monde. À ses parents à qui on n'a jamais donné ce droit. Et à tous les gens d'un tas de pays qui n'ont autre choix que de subir, de se plier, de fuir ou de mourir.

Ce petit geste m'a permis de saisir une fois de plus à quel point nous sommes libres. Libres de s'afficher à droite, à gauche ou au centre. Libres d'aimer le Canada, de vouloir le quitter ou le protéger envers et contre tous, libre d'abolir la monarchie ou de la conserver, libres de se couvrir la tête ou pas... mais libres.

Que vous ayez 18 ans ou 92 ans, j'espère que vous aussi, vous vous êtes rendu compte de cette grande liberté dont nous avons le privilège. Et que vous avez exprimé cette liberté haut et fort, derrière votre panneau de carton, sur un papier tout plié avec votre petit bout de crayon moche.