Le ministère de l'Éducation a récemment sommé les écoles de ne pas relayer aux parents la facture de tablettes numériques à usage pédagogique. Faut-il saluer son rôle de gardien de la gratuité scolaire ou dénoncer une inconséquence avec ses compressions budgétaires ? En creusant, on constate la gravité du problème : la gratuité scolaire, tout comme le principe d'égalité des chances, est désormais une illusion.

Il faut comprendre que, coupes successives obligent, les écoles publiques peinent à répondre aux besoins essentiels des élèves avec les seuls fonds publics et, qu'aujourd'hui, une direction d'école compétente n'est plus celle qui transmet une vision pédagogique, mais celle qui déniche les moyens financiers pour éviter de priver ses élèves des services de base. Ainsi, autrefois habituées à recourir à des sources de financement parallèles uniquement pour organiser des projets extrascolaires, les écoles se voient progressivement forcées à faire preuve de créativité dans l'exploitation de ces ressources.

Les campagnes de financement dans nos écoles prennent donc une nouvelle tangente : répondre à des besoins éducatifs qui, d'ordinaire, seraient déjà comblés. De plus, pour soutenir directement leur mission, certaines écoles se dotent d'une fondation qui peut offrir des reçus pour dons de charité, effectuer des placements ou encore engranger des revenus de source publicitaire. Enfin, les écoles facturent aux parents de plus en plus de frais qui, théoriquement, doivent couvrir uniquement les « documents dans lesquels l'élève écrit, dessine ou découpe ».

Mais ces frais, à l'instar des recettes provenant des campagnes de financement ou de fondations, pallient désormais les budgets des écoles en étant notamment affectés au matériel didactique ou pédagogique, aux bibliothèques, aux activités culturelles, au réaménagement d'espaces de classe ou de cours d'école, aux programmes particuliers, à la surveillance au secondaire, ou encore à l'achat de romans, de dictionnaires et d'instruments de musique, ce qui normalement devrait être défrayé par l'État.

Et même si, majoritaires dans les conseils d'établissements, les parents adoptent les budgets ainsi financés et approuvent les frais qui leur sont facturés, le principe de la gratuité scolaire se trouve violé.

En effet, la gratuité scolaire n'existe plus du moment qu'il est impossible pour une école publique de remplir sa mission éducative sans solliciter l'appui financier de la communauté, des familles et des parents, directement visés par les campagnes, les fondations et, évidemment, les frais scolaires. Comme d'une région à l'autre, ou d'une école à l'autre, on ne possède pas les mêmes moyens, certaines écoles réussissent à récolter les fonds nécessaires pour se payer le minimum, tandis que d'autres doivent consentir à des sacrifices au détriment des élèves.

Il ne suffit pas de savoir que nos enfants pourront accéder à l'école, mais, surtout, on doit pouvoir croire qu'ils puissent recevoir une éducation à leur mesure, peu importe l'école fréquentée.

C'est là le principe d'égalité des chances, appuyé par la gratuité scolaire, qui fonde l'école québécoise moderne.

Et si, de bonne foi et dans l'intérêt de leurs élèves, les écoles contournent ce principe en naviguant en zones grises, il appartient bel et bien au Ministère de mettre son holà. Mais il faut être conséquent, et prendre toutes les mesures pour préserver l'égalité des chances, en encadrant mieux le financement des écoles, mais surtout en s'assurant que chacune puisse fournir une éducation qui ne dépend pas des moyens de leur milieu.

Pour ce faire, il n'y a qu'une solution : revaloriser l'éducation et régler le problème de sous-financement chronique - odieusement masqué par les contributions des parents et des communautés - en réinvestissant dans les écoles.

Sinon, accepter le statu quo, c'est admettre que, dans ce nouveau système public à vitesse variable, les moins fortunés n'ont plus le droit à la même éducation que les plus riches.