Si près du but, jamais le NPD ne l'a été. Depuis un demi-siècle, il a toujours commencé les campagnes en étant le « bon troisième » ; le pouvoir et même l'opposition officielle étaient inatteignables.

Le premier pas a été fait en 2011. Jack Layton a alors profité de la contraction du mouvement souverainiste, mais sa personnalité et la sympathie y ont beaucoup contribué. Lorsqu'on demandait aux Canadiens de classer leur sentiment à propos des chefs, Jack Layton surpassait largement ses adversaires. Le résultat est connu : un transfert massif de sièges du Bloc au NPD. Cette nouvelle arithmétique rendait crédible le NPD comme parti gouvernemental pour la première fois de son histoire.

Le deuxième pas a été fait en mars 2012 lorsque les membres du NPD ont choisi un Québécois comme chef; une décision audacieuse pour ce parti qui ne comptait qu'une poignée de militants au Québec. L'enjeu stratégique était important : consolider les nouveaux gains.

Le troisième pas fut le travail de Tom Mulcair aux Communes: formuler une opposition sérieuse et rigoureuse qui l'a aidé à rester à l'avant-plan de l'actualité. Secret de Polichinelle, ces années lui ont également permis d'affirmer son leadership à l'interne.

Mais rien n'était pour autant acquis : si le NPD a été deuxième immédiatement après la dernière élection fédérale, il a été relégué au troisième rang au printemps 2013 quand Justin Trudeau a pris la tête des libéraux. L'économie a cependant changé la donne politique : la chute des prix du pétrole à l'échelle mondiale a plombé l'économie de l'Ouest et sérieusement ébranlé son modèle économique de droite. Bien des Albertains ont estimé qu'ils auraient besoin de l'État pour traverser les turbulences économiques des prochaines années. La victoire du NPD en Alberta est devenue un levier pour Mulcair.

Pendant cette longue campagne, le NPD doit trouver un équilibre. D'un côté, continuer d'incarner les valeurs du centre gauche politique - solidarité, programmes sociaux, État interventionniste - mais de l'autre, le NPD doit montrer un sens pratique, un principe de réalité, bref, une capacité à gouverner que les Canadiens ne lui ont jamais reconnue. Il doit indéniablement dépasser la sympathie.

Pour rejoindre et conforter l'électeur médian, le NPD doit faire des compromis avec l'idéologie du parti, sans que les ambiguïtés ou contradictions soient trop évidentes.

Ce positionnement stratégique doit se décliner sur plusieurs thématiques. Sur la question des oléoducs par exemple, Mulcair déplait certes à ses militants les plus environnementalistes lorsqu'il dit « oui, mais ». Par contre, en faisant cela, il se donne une marge de manoeuvre, et, surtout, il envoie au plus grand nombre l'image d'un leader pragmatique. Quant au programme économique, il fait d'une pierre deux coups : en voulant aider la fameuse « classe moyenne », il aide les petites et moyennes entreprises, notamment avec une réduction importante du taux d'imposition. Certains peuvent aussi croire que le plan fiscal des libéraux est plus « redistributif » ou progressiste que celui des néodémocrates, ou que les réformes institutionnelles proposées par Trudeau sont plus audacieuses que celles du NPD.

Au total, Mulcair, ancien ministre libéral québécois, vise le centre politique. Il sait aussi que les électeurs du centre-gauche sont déjà acquis, quasi captifs; et que c'est dans la cour des libéraux qu'il peut faire des gains, non en rivalisant avec Elizabeth May !

Le discours de Mulcair prononcé lors du lancement de la campagne est révélateur. Il a parlé de ses origines modestes, de son expérience gouvernementale, mais aussi des « décisions difficiles » qu'il a dû prendre comme ministre. Bref, le chef néodémocrate ne veut pas passer pour un rêveur, un jovialiste à qui on évite de donner les ultimes responsabilités. Il veut montrer aux Canadiens qu'il a les pieds sur terre. Longtemps considéré comme la « conscience du Parlement », le NPD a pris les moyens pour former le gouvernement.