Les Kurdes forment une population majoritairement sunnite répartie sur une surface de plus de 500 000 kilomètres carrés au Moyen-Orient. Ils forment une population de 35 millions d'âmes : 8 en Iran, 7 en Irak, 2 en Syrie et 18 en Turquie.

En 1920, le traité de Sèvres avait prévu l'établissement d'un territoire autonome des Kurdes. Cette recommandation fut subséquemment ignorée.

La reconnaissance linguistique et l'aspiration à l'autonomie ou à l'indépendance des Kurdes ont été généralement réprimées. Ainsi, en Iran, il y eut des soulèvements kurdes sporadiques. En Irak, durant l'opération Anfal en 1988, le dictateur Saddam Hussein ordonna la destruction de 2000 villages kurdes. Une centaine de milliers de Kurdes périrent.

Mais depuis la guerre du Golfe de 1991, les Kurdes du nord de l'Irak ont pu jouir d'une autonomie croissante et ont formé un gouvernement régional en 2005. Ils ont surmonté leurs dissensions internes, disposent de leur propre force de sécurité et planifient un référendum sur l'indépendance du Kurdistan.

En Turquie même, il y eut près de 40 000 morts durant les 15 dernières années de la révolte du mouvement kurde gauchiste du PKK. Les négociations entamées en 2012 avec le PKK avaient semblé aboutir lorsque ce dernier offrit de déposer les armes. Le cessez-le-feu a prévalu depuis le mois de mars 2013.

SYRIE ET TURQUIE

Au cours de la guerre civile en Syrie, les Kurdes syriens ont tenté de rester loin de la mêlée, mais l'arrivée de l'État islamique (EI) a bousculé leur agenda. Alors que la ville kurde de Kobané était dans un état désespéré, car assiégée par les forces de l'EI, la Turquie a empêché les renforts kurdes de s'y rendre et aussi refusé que la base aérienne américaine d'Incinlik, sur son territoire, puisse être utilisée afin de mener la guerre contre l'EI.

En outre, la Turquie a acheté du pétrole au rabais à l'EI, auquel elle a vendu des équipements tout en laissant passer des djihadistes à partir de son territoire. Malgré cela, les Kurdes de Syrie, qui ont bénéficié de l'appui aérien américain, ont été sur le point de contrôler près de 50 % de la frontière méridionale turque. Mais le gouvernement turc ne veut pas avoir à sa frontière une zone d'autonomie kurde, de peur que cela ne fasse tache d'huile en Turquie même.

Tout récemment, la Turquie a décidé de bombarder les forces de l'EI, mais a réservé la majorité de ses attaques aux positions kurdes de Syrie et d'Irak. Bien des observateurs se demandent si la permission accordée pour l'utilisation de la base américaine de Turquie n'a pas été donnée au détriment des intérêts kurdes. Un autre facteur d'ordre intérieur joue dans ce revirement : les élections législatives du mois de juin ont donné une majorité relative de près de 41 % au parti islamique, 25 % au parti social-démocrate, 16 % au parti d'action nationaliste et 13 % au parti kurde.

Cette dernière formation a réussi l'entrée au Parlement en dépassant le seuil nécessaire des 10 % des voix, entravant ainsi l'obtention de la majorité parlementaire par le parti islamique. Qui plus est, son leader Demitras a rallié de nombreux libéraux, féministes et gauchistes, qui se sont reconnus dans sa vision laïque et libérale. Frustré du fait qu'il ne puisse former une coalition majoritaire, le président Erdogan a entamé des procédures visant à ôter l'immunité parlementaire de Demitras et de sa formation politique, qu'il accuse d'avoir des sympathies pour des groupes terroristes. Ce faisant, il essaie de rallier des nationalistes sous sa houlette si de nouvelles élections devaient se tenir, car la nouvelle coalition gouvernementale tarde à se former.

Déçus par les entraves apportées à la voie démocratique, les Kurdes de Turquie se retrouvent au pied du mur. Il devient clair que le ralliement de la Turquie à la lutte contre l'EI a offert un prétexte pour mieux s'attaquer aux Kurdes et limiter par tous les moyens leurs aspirations nationales. Les multiples discriminations des Kurdes du Moyen-Orient sont loin d'être finies. Leur calvaire continue.