Je suis déçue. L'année dernière, sur les 36 rivières sur lesquelles un décompte des saumons a été effectué, seulement 11 atteignaient le seuil de conservation. C'est 49 % de saumons de moins qui sont retournés à leur rivière d'origine pour frayer si l'on compare à la moyenne des cinq dernières années.

Ces données sont connues depuis un an, mais malgré tout, cette année encore, il sera possible de prélever les grands saumons. Bien que certains gestes soient faits en regard de la protection de la ressource et que les mentalités semblent évoluer lentement par rapport à la remise à l'eau, des mesures plus concrètes auraient nécessairement dû être prises cette année.

J'aimerais que le principe de précaution s'applique, et vite.

Je crois qu'en ce moment, la peur de voir les pêcheurs déserter les rivières parce qu'ils ne pourraient pas prélever est en train de l'emporter sur la préservation de la ressource. Il faut arrêter d'avoir peur et commencer à penser à plus long terme. Je suis convaincue que non seulement la grande majorité des pêcheurs vont continuer de pratiquer leur activité préférée même en cas de remise à l'eau obligatoire, mais aussi que ceux qui l'abandonneront y reviendront incessamment.

Pour l'instant, le problème est criant. La population du saumon est en chute libre, et on reste les bras croisés. La limite de sept captures par saison par pêcheur n'a même jamais été modifiée depuis une trentaine d'années. C'est clairement fermer les yeux sur une situation dramatique. 

J'en ai assez d'entendre dire que le problème est en mer : le problème est partout et nous en subirons tous les conséquences.

En attendant de voir les gouvernements intervenir en mer, en attendant d'être certains que les tonnes de saumons prélevées par les pêcheurs sportifs ne contribuent pas à ce déclin, ne pourrions-nous pas être un peu plus proactifs et prendre en main notre avenir simplement en remettant à l'eau les géniteurs ?

LA PÊCHE, C'EST NOTRE VIE

Je ne remets pas en question le travail essentiel que font les gestionnaires des rivières à saumon du Québec. Je sais qu'ils agissent au meilleur de leurs moyens. Je sais aussi que ce n'est pas parce qu'on capture qu'on ne respecte pas la ressource. J'ai des amis qui prélèvent et qui ne sont pas pour autant moins conscients ou irrespectueux. Il n'est pas question de scinder en deux la population de pêcheurs. Mais je veux simplement exprimer mon opinion et inviter les pêcheurs à agir sans attendre.

Personnellement, quand je fais la rencontre de celui qui fait ici l'objet de tous ces débats après une joute serrée, quand je pense au voyage qu'il vient de faire, son parcours semé de beaucoup trop d'embûches, quand j'arrive à pouvoir le toucher, je me demande de quel droit je me permettrais de l'empêcher d'aller se reproduire là où il est né, dans sa frayère natale, et ainsi aller à la rescousse de son espèce.

Nous voulons tout mettre en oeuvre pour changer les choses avant qu'il ne soit trop tard. La pêche, c'est notre vie, c'est notre travail, et on ne veut pas avoir un jour à se rappeler du temps où il y avait du saumon qui remontait la rivière au printemps. Personne ne veut ça.

Ainsi, sachant qu'il approche dangereusement le statut honteux d'espèce en péril, sachant que son déclin se poursuit, sachant que les pêcheurs sportifs en prélèvent une plus grande quantité que la pêche commerciale, il est certain que je remets à l'eau ce vainqueur. Et ce geste que je fais, un peu comme une sorte de remerciement en retour de ce que je reçois, me donne de l'espoir. Et si je tiens tant à la promouvoir, c'est que je crois fermement que la remise à l'eau est capitale, car elle peut faire une différence.

Cet été, de grâce, faites votre part, remettez à l'eau les grands saumons.

La nature sait nous parler, sachons l'écouter et n'attendons pas qu'il soit trop tard.

- Écrit en collaboration avec Dave Adams et Marie-Josée Adams, passionnés et travailleurs de la pêche