Samedi dernier, le quotidien The Globe and Mail publiait en page frontispice un long reportage à propos de la construction, à Fort McMurray, en Alberta, d'une énorme mosquée de 50 millions de dollars, dont les travaux débuteront ce printemps. La manchette ne laisse pas indifférent.

Ici, au Québec, des sentiments d'inconfort sont exprimés sur la place de l'islam, trop fréquemment pour qu'on fasse semblant qu'il n'y a pas un réel malaise, partagé entre les Québécois non musulmans et les Québécois de confession musulmane. On l'a vu encore récemment avec le projet d'une mosquée à Shawinigan.

L'arrivée de nombreux immigrants de confession musulmane bouscule nos vertus de tolérance et de supposé attachement à des valeurs «modernes», inscrites dans des chartes des droits et libertés, adoptées à des époques bien faciles où il y avait peu de nouveaux arrivants «visibles».

Depuis quelques années, notre tolérance est mise à l'épreuve. On se doute que de nombreux Québécois, surtout plus âgés, je pense, voguent dans une même journée entre un sentiment d'ouverture pour ceux qui viennent se refaire une vie digne chez nous, et une réaction de malaise, notamment après des attentats aussi troublants que ceux survenus dernièrement.

La suite des choses, c'est que nos deux communautés, Québécois non musulmans et Québécois musulmans, devront en arriver à un dialogue constructif et permanent sur ce qui nous rassemble, mais aussi sur ce qui nous sépare, et cheminer en bons termes dans la société de plus en plus multiculturelle qui est la nôtre.

Le dialogue sera parfois rude, surtout s'il est mené par les parties radicales des deux communautés: entre ceux qui veulent, d'une part, à la manière Hérouxville, enfoncer dans la gorge nos «valeurs» à une communauté à qui on doit tout de même laisser le temps de les absorber et, d'autre part, une communauté musulmane trop souvent représentée par des zélotes qui font croire aux citoyens ordinaires que le musulman moyen ne fait que mener sa vie autour de la religion.

Pour les musulmans d'ici, des questionnements pourraient être amenés sur la contradiction entre nos textes fondateurs, teintés d'ouverture et de respect, et certains gestes rapportés dans les médias invalidant cette supposée tolérance. On questionnera aussi les vertus de certains comportements allant à l'encontre des valeurs de pudeur chères à la communauté musulmane, valeurs il n'y a pas si longtemps partagées au Québec.

À l'attention de nos concitoyens musulmans, les questions posées seront également bien troublantes, d'autant qu'elles ne sont jamais soulevées dans leurs pays d'origine. La plus dure: le Coran est-il exclusivement la Parole divine, stricto sensu, surtout quand on sait que certains passages sont bien peu généreux envers les Juifs et les chrétiens, donnant malencontreusement à des esprits malveillants une légitimité religieuse à leurs méfaits terroristes?

Sur un autre registre: le voile porté par certaines femmes est-il vraiment une obligation religieuse? Les femmes de culture musulmane non voilées sont-elles en violation de leurs codes religieux, ou, au contraire, sont-elles porteuses d'une autre interprétation de la culture musulmane, adaptée à leur temps, et tout aussi valide?

Toutes ces questions ne sont vraiment pas faciles. Les enjeux identitaires sont les plus émotifs qui soit, les plus complexes. Les évoquer, surtout dans les médias, radicalise souvent, plus qu'il ne facilite le dialogue.

Mais nous avons une communauté à bâtir et, tous, nous la voulons la meilleure pour nos enfants. Donc le dialogue doit s'ouvrir. Quel passionnant défi, quand on y pense! Mais à prendre sur ses épaules par les esprits intelligents, réalistes et conciliants, bref, par des «constructeurs de ponts», et non par des poseurs de dynamite qui font trop souvent le chou gras des médias traditionnels et sociaux. Et un enjeu pour les jeunes, surtout. Plusieurs d'entre eux ont été habitués, dès leur tout jeune âge, à côtoyer la diversité: ce défi formidable leur est lancé.