Tous les Québécois ont été scandalisés par les témoignages devant la commission Charbonneau, révélant un système de collusion et de corruption dans l'industrie du génie-conseil et de la construction au Québec. Il ne faudrait pas toutefois conclure que le Québec est unique ou même hors-norme quant aux pratiques de cette industrie.

Transparency International, l'OCDE et d'autres organismes ont maintes fois démontré que le secteur des travaux publics et de la construction sont particulièrement vulnérables aux stratagèmes de collusion et de corruption. Des pratiques frauduleuses à grande échelle ont été mises à jour dans plusieurs pays: France, Japon, États-Unis (New York), Australie, Allemagne, Finlande, Italie, Espagne, Hong Kong, Royaume-Uni, Pays-Bas (Hollande).

Le cas de la Hollande offre des enseignements pertinents pour le gouvernement du Québec, lequel semble s'en être inspiré, en partie du moins pour la rédaction du projet de loi 26 sur «la récupération des sommes obtenues à la suite de fraudes...» Toutefois, certains aspects du projet de loi pourraient être encore bonifiés à la lumière de l'expérience hollandaise.

Alerté par une émission d'affaires publiques en novembre 2001 sur les comportements collusifs des entreprises de génie et de construction, le gouvernement hollandais mandata les agences appropriées de faire enquête. Une commission parlementaire spéciale fut ensuite instituée, laquelle a tenu des audiences publiques en août et septembre 2002, au cours desquelles plus de 60 témoins furent entendus. La commission remit son rapport deux mois plus tard, en décembre 2002.

Près de 1400 sociétés furent mises en cause. Le gouvernement hollandais établit alors une procédure pour pénaliser les entreprises fautives, mais sans détruire son industrie du génie-conseil et de la construction.

Lorsqu'une société recevait un énoncé des transgressions retenues contre elle, celle-ci pouvait se prévaloir soit de la procédure dite de la «voie rapide», soit de la procédure régulière, comportant des recours devant les tribunaux. Si elle choisissait la procédure de voie rapide, cette société et ses dirigeants devaient prendre un certain nombre d'engagements:

- Abandonner son droit d'accès à son dossier;

- Ne pas contester les faits allégués;

- Ne pas invoquer son droit d'être entendu individuellement par les autorités;

- Déléguer à une seule et même personne de représenter toutes les sociétés mises en cause ayant choisi la procédure dite de «voie rapide»; cette personne négociait avec l'agence responsable au nom du collectif de toutes ces entreprises.

Par contre, cette procédure comportait des règles pour qu'une société puisse établir le niveau de l'amende maximale que l'on pourrait exiger d'elle. Enfin, le choix de cette procédure donnait droit à un rabais de 15% de l'amende à payer. La possibilité pour une société de choisir cette procédure de voie rapide n'était disponible que jusqu'au 1er mai 2004.

En fait, 85% des sociétés choisirent cette «voie rapide» de solution et payèrent collectivement 232 millions d'euros. La quasi-totalité de ces cas furent réglés en moins de six mois.

Cela réglait le passé. Pour l'avenir, l'industrie hollandaise du génie-conseil et de la construction, lavée de sa turpitude passée et désormais soumise à des règles sévères et à une surveillance relevée, a pu reprendre ses activités. La démarche hollandaise comportait un aspect important pour la sauvegarde de son industrie: les sociétés ayant opté pour la procédure dite de «voie rapide» devaient ne pas contester les faits allégués et en accepter les conséquences, mais aucune n'a dû plaider coupable. Cet aspect revêt une grande importance pour toute société de génie-conseil ou de construction qui oeuvre dans des juridictions où un reconnaissance de culpabilité ou une condamnation criminelle la rendrait inéligible.

Le gouvernement du Québec devrait s'assurer que son projet de loi 26 est sensible aux considérations qui ont motivé l'approche hollandaise: rapidité de règlement, punition, mais sans reconnaissance de culpabilité, et une option, pour qui le souhaite, de se prévaloir du recours habituel et se défendre devant les tribunaux.