Entre le débat sur la charte des valeurs, les attentats terroristes et les combats outre-mer, les derniers mois auront nettement remis de l'avant les préoccupations de sécurité face à l'intégrisme religieux. Or, sous cette épineuse question se cache celle encore plus délicate de la frontière séparant les libertés individuelles de l'ordre public.

Dans sa chronique du 31 janvier, le chroniqueur Yves Boisvert reprenait l'exemple de l'imam Chaoui pour illustrer cet enjeu. Son interprétation de la liberté d'expression face à ce cas semble cependant erronée. S'il est vrai qu'il est délicat de restreindre la diffusion d'idées tant que celles-ci ne deviennent pas criminelles, on ne peut non plus reprocher à l'État de ne pas offrir la tribune pour le faire.

Selon les informations rapportées, le projet de centre communautaire impliquant Hamza Chaoui viserait l'enseignement religieux de jeunes du quartier. Celui-ci prêcherait des idées contraires à certains piliers de la démocratie, notamment l'égalité des sexes. Des idées qui, pour reprendre les propos d'un membre de sa communauté, sont à tout le moins «à la limite de la radicalisation».

Les préoccupations d'ordre public sont donc évidentes, d'autant plus qu'il est ici question d'un groupe vulnérable de la population.

Toutefois, et la chronique de M. Boisvert le souligne bien, le cadre réglementaire actuel permet difficilement de justifier la décision de bloquer le projet. Néanmoins, le maire d'arrondissement a bien spécifié que des modifications seraient apportées afin de couvrir ce genre de situation. De fait, le règlement a été modifié, hier, afin d'empêcher qu'un centre communautaire serve à des fins religieuses. L'imam Chaoui se verra ainsi refuser son permis non pas pour son propos, mais parce que la finalité d'un centre communautaire n'est pas la propagation d'idées religieuses auprès des jeunes.

Il s'agit bien sûr là de législation déguisée. L'intention avouée de la modification est plutôt de restreindre la tribune offerte à l'intégrisme religieux. Or, ce n'est pas pour autant une violation de la liberté d'expression. Effectivement, la Cour suprême est venue rappeler avec raison, et ce dès 1993, que cette liberté doit être interprétée négativement; c'est une prérogative intouchable, mais l'État n'a pas pour autant à faciliter son exercice.

Autrement dit, «la garantie de la liberté d'expression interdit les bâillons, mais n'oblige pas à la distribution de porte-voix», dixit le juge L'Heureux-Dubé. La nuance à faire avec la liberté d'un journal satirique, pour reprendre la comparaison de M. Boisvert, est donc importante puisqu'on parle ici de l'attribution d'un permis par la municipalité.

Logique punitive

Qui plus est, cette liberté fondamentale n'a pas à être vue comme un buffet à volonté auquel on ne pourrait limiter l'accès qu'en cas d'acte criminel. Nul besoin de s'en tenir à une telle logique punitive de règlementation a posteriori, comme le fait présentement le gouvernement Harper dans son projet de loi antiterroriste.

Au contraire, nous disposons d'une variété de moyens visant à prévenir raisonnablement les dommages que peut entraîner un usage irresponsable des droits individuels. Des moyens qui ont d'ailleurs déjà été utilisés avec succès dans le cas de la liberté d'expression, notamment avec la publicité faite aux enfants. Considérant l'importance de l'objectif dont il est ici question - la protection d'un groupe vulnérable face à un discours radicalement opposé aux valeurs qui sous-tendent la liberté d'expression - il relèverait d'un attentisme aberrant de ne pas agir sur le fond.

Ceci dit, on ne peut non plus exercer ces réserves à la liberté d'expression sans prudence. Si la décision de la ville semble justifiée, les propos de certains acteurs politiques sont inquiétants. Dans ce genre de débat dont on connait bien la sensibilité, on se doit de ne pas glisser vers la discrimination. Surtout, on se doit de promouvoir la logique conciliatrice des libertés individuelles et non pas de tomber dans un discours tout aussi dangereux que celui que l'on dénonce.