L'attentat contre Charlie Hebdo à Paris coïncide avec l'ouverture à Boston du procès du terroriste qui, en avril 2013, fit exploser une bombe à l'arrivée du Marathon, tuant et blessant des centaines de coureurs.

Dans les deux cas, les meurtriers se réclament de l'islam: ils prétendent venger l'agression occidentale contre des nations musulmanes, contre leur civilisation, contre leur religion. En France comme aux États-Unis, les auteurs semblaient bien intégrés à la culture majoritaire.

À partir de ce simple et banal constat, chacun sera tenté de rationaliser, de proposer quelque explication logique à la folie meurtrière. Il se trouve des Occidentaux à mauvaise conscience qui feront porter par les victimes la responsabilité de ces crimes. À suivre ces défaitistes de la pensée, Charlie Hebdo n'aurait jamais dû ironiser sur l'islam, mais s'en tenir à son fonds de commerce initial, comme caricaturer le pape, par exemple: un anticléricalisme sans risque!

Cette autocritique qui transfère la responsabilité de l'assassin vers les victimes est une forme de culpabilisation de soi bien connue en psychanalyse. Mais si les Occidentaux cessaient de se mêler des affaires du monde, de vouloir exporter la raison et d'ironiser sur tout, seraient-ils encore des Occidentaux? Charlie Hebdo serait-il encore Charlie Hebdo s'il s'autocensurait et devenait politiquement correct?

À l'opposé des donneurs de leçons, qui culpabiliseront les victimes, se situent les pseudo-rationalistes anti-islamiques. Eux nous disent: «puisqu'à Boston comme à Paris, les assassins se réclament d'Allah, l'islam est donc la cause de leur acte». Sauf que se réclamer d'Allah ne veut pas dire qu'Allah ait armé les terroristes. Si Allah est Allah, on l'imagine occupé à des tâches plus hautes que de gérer la folie de ses adeptes proclamés. Sur un milliard de musulmans dans le monde, qui n'obéissent à aucune autorité centrale ni locale, je doute qu'il s'en trouve beaucoup pour approuver les attentats de Paris ou Boston.

Des crimes, point

On envisagera donc, au rebours de toute emphase, que les crimes de Paris et Boston sont des crimes avant tout, qu'il est possible d'en décrire les circonstances et les acteurs, qu'il est possible de tracer des parallèles, de constater le détournement de l'islam, le conflit latent entre les valeurs occidentales et une certaine humiliation dans le monde arabe qui peine à entrer dans la modernité et dans la mondialisation qui lui est imposée.

Mais tous ces constats, de fait indéniables, décrivent; ils n'expliquent rien, parce qu'au fond il n'y a pas d'explication. À Primo Levi, incarcéré à Auschwitz, et qui voulait comprendre l'extermination des Juifs, un soldat nazi avait répondu: «Ici, il n'y a pas de pourquoi». En d'autres termes, le Mal existe en soi, de même que la folie meurtrière existe par elle-même.

Ce terme «attentat terroriste», auquel on peut ajouter, en cas de besoin, l'adjectif islamiste, ne sert qu'à nous rassurer, à introduire de la rationalité historique, à faire entrer l'inconcevable dans une petite case étiquetée à l'avance. Car il est plus rassurant de dire «attentat islamiste» que d'admettre la folie des hommes. À Boston ou Paris, cette folie s'est exprimée sous une forme et avec le vocabulaire de notre époque, de même qu'il y a un siècle, des assassins lançaient des bombes dans des enceintes politiques ou tuaient des chefs d'État au nom de l'anarchie, en hurlant «Vive l'anarchie»: équivalent aujourd'hui suranné de «Allah est grand».

Un sommet de cette folie meurtrière inhérente à toutes les sociétés humaines fut sans doute atteint en Espagne quand, dans les années 30, le militant fasciste Jose Millan-Astray imposa comme cri de ralliement à ses troupes «Vive la mort». Cette pulsion de mort qui se drape dans l'idéologie du moment, elle sera toujours avec nous; vouloir l'expliquer revient à la légitimer, alors qu'«ici, il n'y a pas de pourquoi».