Dans un éditorial publié le 16 septembre à propos du projet d'oléoduc de TransCanada, André Pratte qualifie de «populisme» l'affirmation voulant que «le Québec ne doit pas devenir une simple autoroute pour sortir le pétrole des sables bitumineux». Si la volonté de défendre les intérêts du Québec, de notre environnement, de notre économie et de notre sécurité, c'est du populisme, eh bien, soit!

L'éditorialiste affirme ceci: «M. Drainville oublie de dire que grâce au nouveau pipeline, les deux raffineries du Québec, à Montréal et à Lévis, pourront s'approvisionner de pétrole brut canadien, moins cher que le pétrole importé. De plus, le Québec a tout avantage à ce que l'Alberta trouve de nouveaux débouchés pour son pétrole; quand l'Alberta s'enrichit, tout le pays en profite».

La réalité est toute différente. La raffinerie d'Ultramar à Lévis n'a aucune intention de s'approvisionner à partir du projet d'oléoduc, comme l'a encore confirmé l'entreprise tout dernièrement. Le 20 mars 2014, le porte-parole de la compagnie affirmait: «Valero [...] has "no firm interest" in the Energy East project at the moment because it has already made other significant sourcing commitments». Je rappelle d'ailleurs que ce projet prévoit transporter plus d'un million de barils par jour, alors que la capacité totale de traitement des raffineries québécoises atteint à peine 400 000 barils par jour.

Le projet d'oléoduc n'a pas pour objectif d'approvisionner les raffineries québécoises, mais bien de sortir le pétrole bitumineux de l'Alberta et de l'acheminer sur les marchés internationaux, via le Saint-Laurent (à Cacouna), le territoire québécois et le Nouveau-Brunswick.

Le gouvernement fédéral et l'industrie pétrolière de l'Alberta ont d'abord misé sur le projet Keystone, qui devait traverser le territoire américain et approvisionner les raffineries du golfe du Mexique. Les autorités américaines ont bloqué ce projet jusqu'ici, malgré les efforts considérables investis par le gouvernement Harper. Le second projet envisagé est celui de Northern Gateway, qui vise à acheminer le pétrole bitumineux jusqu'au Pacifique en traversant les Rocheuses. Malgré l'approbation de l'Office national de l'énergie et le soutien d'Ottawa, l'opposition en Colombie-Britannique est telle que la plupart des observateurs conviennent que ce projet pourrait ne jamais voir le jour. Je pose la question: est-ce que l'opposition du gouvernement américain et de la Colombie-Britannique est du populisme? Si oui, je dis bravo!

Sachant que le projet de TransCanada ne vise nullement à créer des emplois dans les raffineries québécoises, où se trouve l'intérêt du Québec? Pourquoi devrions-nous assumer les risques environnementaux? Pourquoi mettre à risque notre eau, notre économie, notre industrie récréotouristique, nos pêches, notre agriculture, la beauté de nos paysages? Pourquoi contribuer à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre? Quel avantage, quel intérêt pour le Québec? Pourquoi l'opposition aux États-Unis et en Colombie-Britannique serait légitime, mais pas au Québec?

Ce projet d'oléoduc, dans sa forme actuelle, ne sert nullement nos intérêts. Ce n'est pas l'intérêt québécois, mais bien l'intérêt albertain que défend M. Pratte lorsqu'il répète que «le Québec a tout avantage à ce que l'Alberta trouve de nouveaux débouchés pour son pétrole». La nature de plus en plus pétrolière du Canada a dopé le dollar, ce qui a considérablement nui aux exportations internationales du Québec (comme de l'Ontario, d'ailleurs) et contribué à creuser notre énorme déficit commercial. Loin de nous enrichir, ce «mal hollandais» à la canadienne appauvrit notre économie. L'obsession fédérale du pétrole bitumineux nous détourne de l'intérêt véritable de notre économie, qui consiste à réduire notre consommation de pétrole importé, d'où qu'il vienne.

Le projet d'oléoduc Énergie Est de TransCanada ne sert pas les intérêts du Québec. Aussi, je persiste et signe deux fois plutôt qu'une: le Québec ne doit pas devenir une autoroute pour le pétrole des sables bitumineux.