La décapitation de deux journalistes américains a soulevé une vague légitime d'indignation, intensifiant l'attention médiatique sur l'État islamique (EI). Ces deux malheureux journalistes ne sont pas les seuls prisonniers de cette organisation à avoir subi ce sort tragique, mais leur exécution a créé une onde de choc planétaire.

Au-delà de la révulsion et de la colère, il convient de s'interroger sur les objectifs effectivement poursuivis. Comme de nombreux mouvements pratiquant le terrorisme, l'EI cherche à faire passer plusieurs messages auprès de publics différents. Cette violence, soigneusement mise en scène, sert ainsi de vecteur de propagande à cette organisation, qui maîtrise parfaitement l'outil internet.

Le premier de ces messages est destiné, on l'oublie souvent, aux populations locales qui vivent sur les territoires contrôlés par l'EI en Irak et en Syrie. Ces dernières sont priées de se soumettre et, pour les non-sunnites, de se convertir. L'EI, en tant qu'organisation insurgée et terroriste, assoit son pouvoir et son autorité par des méthodes extrêmement brutales. Si elle est loin d'être la seule à utiliser la violence pour s'assurer du silence des populations locales, la mise en scène qui l'accompagne en décuple les effets.

Le second message est envoyé à « l'Occident », États-Unis et Royaume-Uni en tête, devenus en l'espace de quelques semaines les cibles lointaines de l'EI. Les bombardements américains et les livraisons d'armes aux mouvements kurdes par plusieurs gouvernements européens ne font que renforcer, selon les leaders de l'EI, l'élargissement du champ d'action de l'organisation.

La stratégie de l'EI a d'abord été orientée vers le contrôle territorial d'une partie substantielle de l'Irak et du nord de la Syrie et vers l'établissement d'un califat. Elle inclut désormais une violence présentée comme des représailles à l'endroit d'Occidentaux, mais qui comporte une bonne dose de provocation. Les décapitations sont donc à la fois une réponse aux bombardements américains, au non-paiement des rançons réclamées et une stratégie pour pousser les gouvernements occidentaux à la réaction, voire à l'intervention. Elles permettent à l'EI de s'imposer comme un acteur incontournable dans un affrontement qui conjugue combats sur le terrain et lutte distante.

Mais surtout, en diffusant ces images choquantes, l'EI cherche à élargir le nombre de ses sympathisants et de ses combattants. On le sait, ces mises en scène postées sur internet provoquent massivement le dégout, mais suscitent chez certains une véritable fascination. Le message est ainsi particulièrement destiné aux djihadistes en devenir qui, à l'image de ces centaines de jeunes Européens et Nord-Américains radicalisés, souhaitent rejoindre la Syrie et l'Irak pour intégrer les rangs de l'EI.

Il s'agit enfin d'inciter à la révolte contre les gouvernements occidentaux et d'encourager à peu de frais l'émergence de loups solitaires, qui viendraient frapper au coeur des territoires où ils résident.

Cette stratégie alimente donc le recrutement et cherche à imposer l'EI comme l'organisation de référence dans la galaxie djihadiste. La concurrence avec Al-Qaïda et ses groupes affiliés s'est d'abord jouée sur le terrain syrien, avant d'acquérir une dimension beaucoup plus globale. En proclamant en juin dernier le califat, l'EI possède désormais une longueur d'avance sur une Al-Qaïda relativement marginalisée, d'autant qu'il dispose de financements permanents substantiels et de moyens militaires importants.

Ni les États-Unis ni les pays européens ne souhaitent envoyer de troupes au sol combattre l'État islamique ou les groupes et milices qui lui ont prêté allégeance. Mais ils ne resteront pas sans réagir, quitte à s'allier ponctuellement aux ennemis d'hier et d'aujourd'hui, comme l'Iran. Les décapitations des journalistes américains ont donc fait évoluer la donne. Le sommet de l'OTAN à Newport, au Pays de Galles, est venu le confirmer, alors que se négocie la formation d'une coalition militaire contre l'EI.