Quelles que soient les raisons idéologiques invoquées pour justifier l'interdiction des signes religieux, les gens visés par l'article 5 de la Charte ont le sentiment d'être victimes de discrimination.

Les musulmans constituent 3,1 % de la population québécoise, les juifs 1,1 % et les sikhs 0,1 %. La loi n'affecterait pas les 82 % des Québécoise qui sont chrétiens ni les 12 % qui sont athées ou agnostiques. Les Québécois pourraient accepter une loi dont l'effet pervers ne touche que 4,2 % des leurs, soit un prix modique à payer pour assurer le plus grand bien de la majorité.

Cette charte propose des règles qui prétendent être « neutres » en s'appliquant à tous de la même façon. Pourtant, elle est discriminatoire parce que, d'un côté, elle impose des conditions restrictives à une minorité, et de l'autre, elle n'affecte pas la majorité.

Ainsi, le projet du gouvernement demande aux minorités de mettre leur identité religieuse au vestiaire pour leur travail dans les institutions de l'État québécois. Pensons aux francophones hors Québec des années 1960 à qui on disait que le français était acceptable pour l'usage privé à la maison et entre amis. Dans l'administration fédérale, on leur imposait d'utiliser l'anglais.

Durant des décennies, les francophones se sont sentis humiliés par cette pratique méprisante. Aujourd'hui, avec le projet de loi 60, on demande aux juifs, aux musulmans et sikhs de laisser au vestiaire leurs signes religieux.

Des recherches démontrent que la discrimination contribue à augmenter l'affirmation d'une identité sociale. Plus les individus s'identifient fortement à leur propre groupe, plus ils ont tendance à se comporter de façon discriminatoire. C'est surtout le cas envers les individus perçus comme menaçants pour la sécurité de son groupe d'appartenance. Conséquemment, la discrimination se manifeste souvent envers les « eux », perçus comme mettant en péril l'identité nationale des « nous ».

Dans les années 1980, les Québécois francophones avaient des attitudes moins favorables envers les Haïtiens qu'envers les Asiatiques ou les Français. Depuis les évènements du 11-Septembre et les audiences de la commission Bouchard-Taylor, c'est envers les Arabes musulmans. Un sondage Léger marketing démontrait en 2007 que 50 % des Québécois avaient une mauvaise opinion de ceux-ci, 36 % des juifs et 27 % des noirs.

En ciblant les femmes voilées, et les hommes portant la kippa, ou le turban, l'article 5 de la Charte accentue les attitudes déjà défavorables à l'égard de ces minorités religieuses. Le projet de loi 60 crée un effet d'entrainement qui rend acceptables les préjugés et la discrimination celles-ci.

Si le plus grand employeur du Québec juge inacceptable que l'appartenance religieuse soit identifiable chez un travailleur de l'État, pourquoi les employeurs du privé ne ferait-il pas de même ? En somme, la Charte a déjà miné la cohésion sociale du Québec.

Durant les auditions sur la Charte, le ministre Drainville a maintes fois déclaré que les Québécois n'ont pas à être embarrassés par la présence de fonctionnaires portant des signes religieux ostentatoires. Le projet est proposé pour résoudre ce problème d'inconfort.

Devons-nous protéger la majorité québécoise francophone de tous les désagréments qu'ils pourraient ressentir devant la présence de ceux qui sont différents ? Il nous semble bien plus urgent d'adopter des mesures pour corriger les discriminations que de créer de nouvelles barrières à l'inclusion des personnes minoritaires.