Chaque hiver, le problème de l'itinérance redevient d'actualité et une fois de plus personne ne parle de l'éléphant dans la pièce : on estime qu'au moins 50% des itinérants ont un grave problème de santé mentale... non traité! Mais pourquoi? Imaginez un instant que tous ceux qui doivent prendre un médicament quotidiennement cessent de le prendre. Des milliers de personnes tomberaient partout : crise cardiaque, coma diabétique, crise d'angoisse, crise d'asthme, etc. Alors, quel est le problème en santé mentale? Je vous explique.

Mon frère jumeau est schizophrène. Pendant 5 ans, je me suis battu côte à côte avec lui, et des fois contre lui, pour lui venir en aide. Voici le parcours classique. Premier obstacle, l'absence d'autocritique, donc le déni de la maladie. Deuxième obstacle, la loi de la confidentialité au nom de laquelle les médecins refusent de parler au proche à la demande du patient.

Ce proche est habituellement l'aidant naturel qui le nourrit et l'héberge, et qui subit probablement depuis cinq jours la descente aux enfers d'une psychose. Le même qui a réussi de peine et de misère à amener son frère à l'hôpital pour qu'on le soigne. Et le même qui subira ce traitement à répétition pendant des années... S'il tient le coup.

Troisième obstacle, la Charte des droits et libertés et le refus de traitement qui en découle. On accepte alors que le patient refuse de se faire soigner, même si on reconnaît qu'il est incapable de prendre une décision éclairée pour lui-même. Direction : la rue.

***

Mon frère va bien aujourd'hui. Pourquoi n'est-il pas itinérant? Parce que j'ai refusé qu'il le devienne. C'est tout, mais c'est énorme. Sans le soutien inconditionnel d'un proche, une personne atteinte de schizophrénie est un navire perdu en mer. Ses chances de s'en sortir seules sont à peu près nulles. La désorganisation mentale entraînera l'isolement puis la détresse. Viendra ensuite la marginalisation progressive qui la poussera vers la rue où l'attendent, tels des vautours, alcool, drogue, prostitution et parfois, même, l'itinérance et la mort..

Une solution simple consisterait à jumeler un aidant naturel au patient et à l'inscrire officiellement au dossier dès l'apparition de la maladie. En reconnaissant et en protégeant cette alliance, les psychiatres verraient non seulement au bien-être de leur patient, mais aussi à celui de ceux et celles qui choisissent d'être présent jusqu'au bout, envers et contre tout. Pour ce faire, il est impératif qu'on redéfinisse, du moins partiellement, la notion de confidentialité.

Pour l'instant, cette reconnaissance est laissée à la discrétion des psychiatres. Cette réalité confine les proches aidants à une sorte de loterie où les gagnants seront informés et même consultés et les autres seront condamnés à vivre dans l'ignorance de l'état de santé réel de leur proche. Sous prétexte de protéger les droits des patients, on repousse ceux qui peuvent vraiment les aider.

En effet, c'est souvent l'amitié indéfectible d'un proche qui donne une vie satisfaisante et heureuse à un schizophrène. La médication, seule, n'a pratiquement aucune chance de réussir et les psychiatres se succéderont, impuissants. Je suis convaincu que près de chaque personne atteinte de schizophrénie qui se porte bien se trouve un aidant naturel, rassurant, amical et disponible. La qualité et l'importance de cette relation deviennent de puissants incitatifs à la prise de médication.

Si j'avais écouté mon frère en crise (et en c... après moi) plutôt que ma raison, je ne pourrais pas aujourd'hui rigoler avec lui en jouant au backgammon. Faut-il rappeler qu'on ne naît pas itinérant, alcoolique ou toxicomane, mais qu'on le devient. J'ai accepté le diagnostic, mais pas cette fatalité. Tous ces itinérants ont-ils un aidant naturel à leur côté? Non? Pourquoi?