En affirmant à tort que notre corde sensible québécoise « prend pour cible parmi les citoyens les plus vulnérables de la société », vous usez d'une vieille stratégie argumentative culpabilisante qui consiste à contraindre le lecteur pro-charte d'incarner le rôle du « méchant » Québécois xénophobe, responsable de la souffrance de toutes les « victimes » potentielles de la Charte. Or, si nous demeurons dans votre logique, la liste des citoyens les plus vulnérables de notre société ciblée par un éventuel statu quo est infiniment plus longue.

Tout d'abord, dans le milieu de la santé, bien souvent, les patients sont non seulement faibles physiquement, mais psychiquement, inaptes à se défendre de l'arbitraire religieux, à exercer un jugement éclairé, ainsi qu'à entreprendre les actions corollaires. Ensuite, avec une population vieillissante comme la nôtre, de nombreuses personnes âgées souhaitent être traitées dans la dignité, sans la distance générée par des symboles religieux aux proportions démesurées.

Les bénéficiaires des différents services sociaux publics, qui font certainement partie des tranches les plus fragiles de la population, ne veulent pas se voir imposer une distance religieuse ostensible par des fonctionnaires mandatés d'un pouvoir étatique ayant une influence directe sur leur vie. Dans le milieu de l'Éducation scolaire et secondaire, la condition de vulnérabilité imminente des enfants commande un respect prospectif envers des êtres qui n'ont pas encore la libre conscience d'exercer un jugement critique pondéré envers le religieux.

Si nous avons déconfessionnalisé nos institutions d'enseignement en enlevant le crucifix sur le mur de nos classes à l'école, pourquoi accepterions-nous que le symbole religieux aux proportions excessives soit porté directement sur l'éducateur? Du coup, le symbole religieux ostentatoire fait son chemin, est complètement banalisé, introjecté chez l'enfant, alors que le prétendu « idéal moral » du dogme religieux entre directement en contradiction avec les principes d'égalité homme-femme et de neutralité religieuse.

Contrairement à ce que certains peuvent penser, nous ne sommes pas des Robinson Crusoé, chacun sur nos îles désertes, qui entrons, affranchis absolument de toutes nos influences sur les autres, dans la fonction publique de l'État pour y travailler. Les symboles religieux ostentatoires, comme signes matériels concrets, sont éminemment sociaux, tous porteurs d'une histoire et de significations proprement humaines. Un employé de la fonction publique qui porte un symbole religieux ostentatoire, peu importe lequel, doit assumer autant l'héritage positif que négatif attaché nécessairement à son symbole, ainsi que les graves contradictions morales qui en découlent.

Avec cette Charte de la laïcité, nous émettons des jugements de valeurs moraux propres au Québec auxquels nous sommes entièrement légitimés d'adhérer et de défendre coûte que coûte. Le message porteur de sens et d'avenir envoyé au reste du monde et à nous-mêmes, c'est la préséance foncière de l'égalité homme-femme, ainsi que de la laïcité, sur les symboles religieux ostentatoires dans nos institutions publiques.

Connaissez-vous beaucoup de moments dans l'histoire où une culture de masse comme la nôtre a osé faire de l'égalité homme-femme un principe sacré? Ce n'est pas par hasard que le Québec est héritier de l'un des plus grands mouvements de femmes de la planète. Les Québécois font actuellement le choix identitaire historique, à portée universelle, de défendre les principes inaliénables, non négociables d'égalité homme-femme et de laïcité. Le Québec a la clairvoyance d'entrevoir dans l'avenir l'accumulation des problématiques morales liées au religieux dans ses institutions publiques. C'est pourquoi nous choisissons collectivement de nous doter d'une Charte de la laïcité, de manière à protéger ce qui est le plus fragile et ce qui a le plus de valeur dans notre société.