Vendredi dernier, M. Gérard Bouchard y allait d'un texte magistral dans La Presse, condamnant fermement le recours systématique à la démagogie et au mensonge caractérisant la campagne du ministre Bernard Drainville en faveur du projet de loi 60. Moins de 24 heures plus tard, ledit ministre a battu ses propres records en matière de raccourcis intellectuels en affirmant, lors d'une entrevue à Paul Journet, que «tu ne peux pas prétendre lutter contre l'intégrisme et être contre la Charte».

Par leur manichéisme simpliste, les propos de M. Drainville ne sont pas sans rappeler ceux de G. W. Bush («vous êtes avec nous ou contre nous»). Il est plutôt surprenant de voir M. Drainville sombrer ainsi au plus bas niveau de la rhétorique populiste, moins de 24 heures après qu'il ait dû condamner les propos d'Yves Michaud, qui venait d'offrir un appui plutôt gênant à son projet de loi.

Cette posture anti-intellectuelle du ministre lui est bien commode puisqu'elle lui permet d'éviter d'avoir à débattre sur le plan de la raison s'il veut faire aboutir son projet de loi, qui n'est fondé sur aucune étude scientifique ni aucune justification factuelle. Mais le sophisme commis par M. Drainville en assimilant l'ensemble des opposants à la Charte aux idiots utiles de l'intégrisme n'est pas qu'inexact sur le plan logique, il est politiquement et socialement dangereux.

Depuis le début du débat sur la Charte, le ministre reprend à son compte la rhétorique populiste des chroniqueurs de la mouvance conservatrice identitaire, selon laquelle le port d'un signe religieux, en particulier le foulard musulman, est une manifestation de l'intégrisme religieux, un danger pour la paix sociale et un refus d'intégrer la société québécoise. Comment se surprendre alors que les xénophobes se sentent dédouanés de déverser leur fiel sur leurs concitoyens issus des minorités religieuses?

En ce qui concerne les accommodements raisonnables que le ministre décrit comme un véritable cheval de Troie de l'intégrisme: de quel accommodement parle-t-il? S'agit-il de l'accommodement ayant permis à une employée de l'Hôpital général juif de manger de la nourriture non kasher à la cafétéria de l'hôpital, de celui ayant permis à une catholique de demander congé à son employeur pour aller à la messe du dimanche, ou plutôt de l'écrasante majorité de 99% des accommodements demandés, soit ceux visant à pallier un handicap dans le milieu du travail?

Le concept d'accommodement raisonnable est le corollaire du droit à l'égalité protégé par nos chartes des droits, incluant d'ailleurs l'égalité des sexes. Les droits de l'ensemble des minorités sont protégés par ce concept. En les assimilant à des intégristes, le ministre vient de manquer de respect à l'ensemble des Québécois appartenant à une minorité et ayant obtenu un accommodement pour garantir leur droit à l'égalité.

Mais doit-on s'en surprendre quand, depuis le début du débat, le ministre Drainville utilise une rhétorique orwellienne pour justifier son projet? Ainsi, il veut affaiblir la protection légale du droit à l'égalité au nom... de «l'égalité». De même, il veut «intégrer» les minorités en congédiant ceux qui portent un signe religieux minoritaire (en tolérant toutefois l'expression de la foi catholique majoritaire), alors que le travail est peut-être le vecteur le plus puissant d'intégration dont dispose notre société.

Finalement, il dit vouloir combattre l'intégrisme en proposant des mesures dont la majorité des spécialistes prévoient qu'elles résulteront en une exclusion accrue des membres de minorités culturelles et religieuses, tant sur le plan social que professionnel. Or, la pauvreté et l'exclusion sont les terreaux les plus fertiles de l'intégrisme.

Si nous étions aussi démagogues que le ministre, il serait tentant de lui répondre qu'il est impossible de «prétendre lutter contre l'intégrisme et être POUR la Charte». Nous nous contenterons d'indiquer, pour l'instant, que le recours à des sophismes et des formules creuses est loin d'être suffisant pour justifier l'attaque frontale contre le droit fondamental à la liberté de religion proposée par le ministre Drainville.