Mon père, qui a été facteur de 1921 à 1956, était un homme affable et apprécié. Alors que nous étions de jeunes enfants, il aimait nous raconter ses aventures, surtout celles se déroulant en hiver. À cette époque, il n'y avait pas d'intempéries ou d'excuses qui pouvaient arrêter la livraison du courrier. Il nous a raconté, entre autres anecdotes, une journée, alors qu'il faisait la livraison à Longueuil, durant une tempête de neige. La poudrerie était si forte qu'il n'arrivait pas à retrouver son chemin, pour finalement réaliser, après plusieurs heures, qu'il tournait en rond. Durant la période des Fêtes, il travaillait le samedi pour préparer la livraison du lundi. À cette époque, il n'y avait pas de syndicat ni d'heures supplémentaires payées.

Durant les années 30, 40 et 50, être facteur était une profession noble, au même titre que médecin, notaire, avocat, enseignant ou pharmacien. Durant la période des Fêtes, il était courant de donner quelque chose à son facteur pour le remercier. Mes souvenirs remontent au début des années 50, alors que j'avais sept ans et que mon père avait, par son ancienneté, hérité de la route la plus intéressante et la plus recherchée, soit celle de Côte-des-Neiges, route qu'il a parcourue jusqu'à sa retraite.

Il s'agissait de l'un des secteurs les plus riches de Montréal. Les gens étaient généreux. Durant les deux semaines avant Noël, il revenait avec des enveloppes, des boîtes de cigarettes, une dinde et autres gâteries. La journée que nous attendions avec le plus de fébrilité était le 24 décembre, alors qu'il arrivait avec son sac plein d'enveloppes d'argent, qu'il vidait sur la table avec un grand sourire et que nous nous chargions d'ouvrir. Comme mon père gagnait un salaire modeste et que nous étions six enfants, l'argent recueilli permettait à ma mère de nous acheter des cadeaux au jour de l'An. Ces souvenirs d'enfance sont impérissables.

Lors de sa dernière journée de travail, tout le long de son parcours, de nombreux citoyens ont pris quelques instants pour le remercier pour ses loyaux services. C'était le bon temps.

Dire que maintenant, le facteur va devenir une espèce en voie de disparition, Postes Canada ayant décidé d'éliminer graduellement la livraison du courrier par celui que l'on appelait communément, au début du vingtième siècle, «le postillon».