Les grands bureaux de génie-conseil du Québec sont bien mal en point. Eux qui faisaient encore récemment l'orgueil de la nation, fournissaient nombre d'emplois bien payés et rapportaient chez nous une manne de capitaux frais de leurs opérations à l'étranger.

À la révélation des manoeuvres corruptrices d'un grand nombre de leurs dirigeants et chargés d'affaires ont succédé l'exposition de la collusion qui existait entre les bureaux pour l'obtention de contrats au Québec et le dévoilement de la surfacturation des services rendus.

Ces révélations ont eu pour conséquence le tarissement des nouveaux contrats de service avec les gouvernements, sans qu'aucune accusation n'ait été portée, sans qu'aucun jugement n'ait été rendu. 

Sous la seule pression informelle du public, des municipalités et leurs arrondissements ont reporté des projets et même annulé des contrats existants. Le gouvernement du Québec n'a accordé aucun contrat important d'ingénierie depuis plus d'un an, et même le gouvernement fédéral refuse des contrats aux bureaux d'ingénieurs québécois.

Les plus grands bureaux du Québec vivent depuis près de deux ans de l'équivalent de leurs rentes, privés qu'ils sont de nouveaux contrats domestiques, privés aussi de nouveaux contrats internationaux, puisqu'on peut facilement comprendre que plus personne à l'étranger ne veut être publiquement associé à des firmes d'ingénieurs québécois.

Plusieurs grands bureaux ont congédié des employés. Il devient de plus en plus évident que, si les conditions ne s'améliorent pas, des bureaux s'apprêtent à mettre la clé sous le paillasson. Parmi les employés qui restent, certains prennent peur et quittent ou s'apprêtent à quitter les navires qu'ils croient en perdition.

Le gouvernement a instauré un registre des contrats publics qui doit garantir la bonne réputation des intervenants aux contrats. La gestion du registre a été confiée à l'Autorité des marchés financiers. Tous les intervenants dans les contrats publics devront un jour y être inscrits. 

Pour l'instant, l'inscription n'est obligatoire que pour ceux voulant soumissionner pour les très gros contrats, comme celui pour l'ingénierie de l'échangeur Turcot. Deux ou trois clics sur le site de AMF permettent de constater qu'aucun des grands bureaux de génie québécois n'a encore été inscrit; seules deux grandes sociétés d'ingénierie dont le siège social est situé à l'extérieur du Québec y apparaissent.

De plus, le gouvernement du Québec a déposé son projet de loi 61 qui obligera individus et sociétés à rembourser en tout ou en partie des sommes obtenues frauduleusement. Le projet de loi semble viser les sociétés plutôt que les acteurs des malversations et il ponctionnera les sociétés reconnues coupables, s'attaquant ainsi à ceux qui en seront actionnaires au moment du jugement. Les acteurs des fraudes, qui se seront retirés des sociétés pour permettre leur inscription au registre des contrats publics, s'en sortiront indemnes et même enrichis.

Les autorités semblent fort peu se soucier de la disparition éventuelle de grands bureaux de génie-conseil québécois. Comme si notre société pouvait se priver de la synergie que les ingénieurs ont développée au sein de leurs équipes de travail. Comme si elle pouvait se priver de l'expérience que les équipes ont acquise à l'étranger, où nos ingénieurs se colletaient aux meilleurs du monde. Comme si elle pouvait faire fi de l'apport d'argent que leurs prestations rapportaient à la collectivité québécoise.

Il est urgent que les ingénieurs, leurs collègues non-ingénieurs et toutes leurs associations professionnelles, se portent à la défense des grandes firmes de génie-conseil. Malgré les fautes passées de certains dirigeants maintenant mis à l'écart, l'expérience acquise par les équipes des grands bureaux mérite d'être sauvegardée et mise à profit.