Il y a près de deux ans qu'elle flirtait avec un amant particulièrement insistant, un cancer du sein. Ça a commencé par des petits rendez-vous anodins aux deux semaines: réduction de la masse par chimiothérapie, effets secondaires, un vrai coup de foudre.

Le flirt a duré plus d'un an, elle s'en est arraché les cheveux, perdu de précieux kilogrammes, m'a même donné au téléphone un cours intensif sur le raffinement de la médecine curative. Finalement l'amant avait semblé tirer de la langue. Elle est retournée au travail, une, deux semaines, le carcinome ne l'a pas pris, il a cogné aux poumons.

Et puis les fréquentations ont repris, même qu'on a charcuté; rien à faire, le crabe la voulait à lui tout seul. Lundi, 14 mai 2012, elle a réussi à le tromper quelques instants et m'a appelé. J'avais au bout du téléphone la voix d'une petite fille diffuse et fragilisée qui se lovait à mon oreille: «Ça ne va pas très bien, je suis à l'hôpital, le cancer a progressé, son territoire s'est élargi, il est plus agressif que les traitements. Je crois au père Noël, je te rappelle dans trois jours».

On ne survit ni ne guérit du cancer, on vit avec et on meurt avec. Le cancer est un tourteau qui dort en chacun de nous et ne guette que l'aura idéale pour s'irradier. Notre mode de vie est le terreau rêvé pour sa prolifération. À quoi riment toutes ces recherches sur un remède miracle si on ne s'attaque pas d'abord à la source pour ainsi garder la bête endormie? 

Il y a plus de pilules que de fruits et de légumes dans nos assiettes, plus d'avions que d'étoiles dans le ciel, plus de pétrole que d'eau dans nos mers, et plus de voitures que d'arbres sur terre. Il ne faut pas croire qu'on va aplatir notre planète comme avant Galilée sans qu'elle tombe malade.

Il paraît qu'avec le dépistage, si on traque le crabe à temps, on peut lui couper les pinces. Le cancer est intemporel, les pinces, ça repousse. C'est une loterie cynique où celui qui gagne perd. C'est l'envahisseur qui décide si le ciel nous tombe sur la tête.

La faucheuse du zodiaque, ce crabe bouseux et pugnace, n'est pas rose et n'a pas la forme d'un ruban. Il est de la couleur, de la forme, de la grosseur, et du nombre de tout un chacun des grains de sable qui pavent le désert, et les oasis sont rares. Ça m'indispose qu'on fasse du commerce avec le crabe, qu'on rosisse tout ce qui m'entoure, qu'on se paie un look à moustache pour le séduire. 

Je trouve suspect que certaines campagnes soient orchestrées par des organismes ou compagnies qui souvent sont complices de l'éveil du crabe. Je vais donner, mais sans intermédiaire, et puis le plus possible à ceux et celles qui luttent pour que la nature reprenne ses droits.

J'aime bien imaginer qu'on ne meurt pas, mais qu'on cesse de vivre de la seule vie qu'on connaisse, après on devient un arbre. 7 juin 2012, elle est partie, c'est maintenant un tout petit bonzaï. Je ne crois pas au remède, mais je crois encore au père Noël.

La vie, c'est comme le café, ça prend un peu d'amertume pour la rendre plus douce. Mon café, je l'aime noir.