Je suis médecin d'urgence depuis 14 ans. Dans mon travail, je côtoie quotidiennement des gens aux prises avec de grandes souffrances.

Comme beaucoup de gens, j'ai suivi le débat sur l'euthanasie. Je crois que le projet a été mal expliqué et mal compris. Je crois aussi que, s'il en avait été autrement, la majorité des gens serait aujourd'hui en désaccord avec ce projet.

J'ai entendu et lu que de s'opposer au libre choix d'un patient qui désirerait devancer et choisir le moment de sa mort était une forme de paternalisme, parce que c'était vouloir choisir à la place du patient ce qui est le mieux pour lui. Or, comme médecin d'urgence, je crois être bien placé pour savoir qu'en matière de soins de fin de vie, c'est presque toujours le médecin qui initie les discussions et qui propose les alternatives. Et que c'est presque toujours l'opinion du médecin, lorsqu'il en exprime une, qui influence le plus le choix du patient.

Il ne faut pas croire que les choses sont différentes quand le sujet de la discussion est l'euthanasie, car ce choix est souvent d'abord proposé par le personnel traitant. Et ce geste représente à mon avis un raccourci qui, à la longue, prendra de plus en plus de place dans la pratique médicale, toujours confrontée au manque de temps et de ressources financières et humaines.

Des médecins hollandais avouent que l'euthanasie est souvent pratiquée pour des raisons avant tout financières. Le nombre d'euthanasies pratiquées augmente rapidement dans tous les pays où elle est légale, et les balises sont toujours transgressées progressivement, peu importe ce qui dit la loi. Les exemples sont nombreux. De plus, mon intuition me dit que là où on pratique l'euthanasie, l'intérêt à développer les soins palliatifs diminue. Malheureusement, mon intuition est confirmée par ce qui se passe ailleurs, notamment en Belgique.

On invoque aussi la compassion envers les patients pour justifier la pratique de l'euthanasie. Et si on abordait la question sous un autre angle, celui de la très grande majorité des patients atteints de maladies terminales ou dégénératives? Ceux qui n'ont jamais, du moins jusqu'à présent, considéré l'option de l'euthanasie? Cela permettrait peut-être de comprendre quel genre de pression on leur fait subir quand l'euthanasie fait partie intégrante des choix thérapeutiques.

Comme urgentologue, je suis témoin quotidiennement du fait que les grands malades craignent très souvent d'être un poids pour leur entourage, pour le personnel soignant, et pour la société en général. Je suis convaincu que ce phénomène très fort et omniprésent en mènera plusieurs à choisir l'euthanasie, non pas parce qu'ils auraient voulu spontanément y avoir recours, mais parce qu'ils sentent que c'est le seul choix «responsable». N'est-ce pas triste d'en arriver là? Je me sens mal à l'aise à l'idée que ce soit cela, être progressiste et agir par compassion.

Le projet de loi sur l'euthanasie, en voulant accéder à la demande d'une infime minorité de patients, menace à mon avis un bien plus grand nombre de malades, qui voudraient finir leur vie autrement qu'en y ayant recours. Ceux-ci se voient placés devant le dilemme suivant: continuer à consommer des ressources de temps, de personnel, d'argent, continuer à représenter un «poids» pour leur entourage, ou recourir à l'euthanasie. 

Je suis intimement convaincu que le choix, dans ces circonstances, ne relève plus du simple libre arbitre de chacun, car il est influencé par une pression sociale. Celle-ci a beau être subtile, elle n'en est pas moins extrêmement puissante, surtout dans une situation de fin de vie où l'on se sent déjà très vulnérable.

C'est pour ces raisons que, si un jour l'on me demande d'euthanasier mon patient, je refuserai de le faire.