Mme Marois, M. Drainville,Je ne vous écris pas cette lettre pour émettre une énième opinion sur la Charte des valeurs que vous avez présentée dernièrement, mais plutôt pour vous entretenir des répercussions qui ont suivi à la suite de son dévoilement.

Je vais vous accorder le bénéfice du doute et prétendre que vous ne savez pas ce qui se passe sur le terrain, malgré la parution ces derniers jours d'un article de La Presse qui nous apprenait qu'il y avait une augmentation significative des agressions des femmes voilées au Québec. Je vais aussi croire, de bonne foi, que vous ne vous servez pas de certains de vos concitoyens à des fins électoralistes.

Mais je vais, en tant que citoyenne observatrice, vous faire part d'une réalité bien malheureuse qui se dessine au Québec.

Voyez-vous, j'enseigne le français langue seconde à l'Université de Sherbrooke. Je suis conséquemment en contact quotidien avec des immigrants de nationalités différentes, et bien entendu, plusieurs femmes voilées suivent également mes cours.

Ce que ces femmes racontent depuis quelques semaines me glace le sang. Elles sont victimes d'intimidation, fléau que vous dénoncez vivement, si je ne m'abuse, dans les écoles.

Parmi les commentaires recueillis auprès de ces femmes, pour n'en nommer que quelques-uns, certaines disent être excessivement stressées, ne plus arriver à trouver le sommeil; d'autres racontent être attaquées verbalement partout où elles vont; une a même avoué que si elle n'avait pas ses études à terminer ici, elle retournerait chez elle pour se lancer dans les bras de sa mère. Et voilà qui ferait plaisir à plus d'un, comme commentaire, n'est-ce pas? Le fameux «retourne chez vous si tu ne veux pas faire comme nous»...

Depuis quelques semaines, j'ai pu voir dans les réseaux sociaux une exacerbation de violence, de propos haineux et de partages de vidéos, de statuts, d'images et de textes islamophobes. La xénophobie latente de certains Québécois s'est malheureusement trouvée décuplée depuis le dévoilement de votre Charte dite rassembleuse.

D'autres exemples pour vous convaincre de la détérioration du climat social au Québec? Une amie, une Québécoise «de souche» qui a choisi de se convertir à l'Islam il y a quelques années et qui a aussi choisi de porter le voile m'a raconté ce qu'elle vivait: «Je connais les «limites sociales» du Québécois de souche - on ne dévisage pas, on ne pointe pas du doigt, on se donne des coups de coude subtils et on bitche discrètement, sans plus... -, alors je suis toujours étonnée des regards crus, des soupirs ou des commentaires lancés à haute voix à mon passage».

Si plusieurs de mes compatriotes se permettent de tels commentaires de vive voix, vous pouvez imaginer qu'ils s'en donnent encore plus à coeur joie sur les réseaux sociaux, car la dimension «distance physique» propre à ceux-ci semble les immuniser contre les conventions sociales les plus élémentaires, comme le respect.

Pouvez-vous, s'il vous plaît, prendre acte de toute cette violence, de cette haine qui se propage, et la reconnaître, la nommer et agir en conséquence? Pouvez-vous admettre qu'il y a bel et bien dérapage et tenter de réparer les pots cassés? Vous n'avez jamais pensé que la présentation de la Charte pouvait entraîner tous ces dommages collatéraux? Vous ne l'avez pas fait sciemment? Fort bien. Sauf que répercussions il y a, et celles-ci sont aberrantes et scandaleuses.

Vous avez besoin de plus de preuves que celles qu'une seule citoyenne vous rapporte humblement? De recherches sur le sujet? Nul besoin. Je vous suggère simplement de faire le test et d'aller vous promener voilée, Mme Marois, à Montréal, mais aussi en région.