Depuis les années 1950 et 1960, la logique qui sous-tend le projet sécessionniste québécois a toujours été examinée à travers le prisme du droit du Québec à l'autonomie gouvernementale. C'est pourquoi les premières réflexions indépendantistes de personnes telles que Raymond Barbeau, Marcel Chaput ou André d'Allemagne ont toujours tourné autour de la notion que, pour assurer la survie de leur langue et de leur culture, les Québécois devaient devenir maîtres chez eux et s'autogouverner au sein de leur propre État souverain.

Toutefois, le discours souverainiste au Québec ne semble plus reposer principalement autour de cette rhétorique. Depuis la dernière décennie, l'idée que le Québec se doit de réaliser l'indépendance afin de pouvoir s'autogouverner a été abandonnée et remplacée par un discours centré sur l'incompatibilité entre le développement politique du Canada anglais et la spécificité du Québec.

Plus précisément, il a été soutenu par les élites souverainistes que le Québec est une société progressiste, sociale-démocrate et pacifiste, alors que le Canada anglais est plus conservateur dans ses choix sociaux et économiques. Cette idée a atteint son apogée lors de l'élection provinciale de septembre 2012, lorsque Pauline Marois a invité les souverainistes de droite à voter pour un autre parti que le Parti québécois.

De toute évidence, de nombreuses raisons expliquent cette transformation du discours souverainiste. La présence à Ottawa d'un gouvernement conservateur dirigé par le premier ministre Stephen Harper a joué un important rôle. À travers leurs politiques publiques, les conservateurs sont présentés par les indépendantistes comme la quintessence de l'évolution du Canada vers des valeurs qui sont de plus en plus étrangères à celles du Québec. Ce nouveau discours reste très problématique en ce qu'il présente deux défauts de taille.

En premier lieu, il est entièrement faux. Les Québécois ont démontré dans de nombreux sondages qu'ils partagent essentiellement les mêmes valeurs que les citoyens du reste du Canada. En fait, sur certains sujets, les Québécois vont même jusqu'à se montrer moins progressistes que les Anglo-Canadiens. Par conséquent, en laissant de côté le discours sur l'autodétermination au profit d'un discours orienté sur le conflit des valeurs entre le Québec et le reste du Canada, le Parti québécois a contribué à exclure de son discours politique toute possibilité de devenir une coalition de tous les nationalistes soucieux de la liberté collective de leur nation. Il est plutôt devenu le seul véhicule politique des souverainistes qui se situent sur la gauche du spectre idéologique. Autrement dit, le projet souverainiste devient plutôt un simple projet politique qui est par essence moins inclusif que le précédent.

En abandonnant les éléments inclusifs sur la capacité du Québec de s'autogouverner en faveur d'une conception d'un Québec qui serait radicalement différente du Canada anglais, le discours sécessionniste du Québec manifeste une forte ressemblance avec l'ancien nationalisme ethnique. Plus précisément, le fait d'être Québécois ne s'appuie plus sur la simple réalité de vivre au Québec et jouer un rôle actif au sein de sa vie politique. La définition de la québécitude repose désormais sur des éléments objectifs, à savoir des valeurs inhérentes à la social-démocratie et au pacifisme.

Le problème vient du fait que ces valeurs ne sont pas universelles. Elles sont nécessairement source de division et propres aux personnes qui se situent sur la gauche du spectre politique. Il s'avère que, comme pour le nationalisme ethnique, la définition de ce qu'est un Québécois projetée par les élites indépendantistes est tributaire de certains critères objectifs. Par conséquent, un Québécois nationaliste et conservateur se sentira exclu de la définition nationale, tout comme les protestants et les anglophones s'en sentaient exclus en vertu de l'ancienne définition ethnique.

En confondant valeurs et identité, une société peut tomber dans les mêmes pièges que ceux qui sont associés au nationalisme ethnique.