Madame Marois, Monsieur Drainville,Deux des valeurs fondamentales du Québec d'aujourd'hui sont celles de la tolérance et de l'ouverture. De «nos valeurs» (comme vous dites), ce sont ces deux-là qui ont fait du Québec la terre d'accueil prisée qu'elle est et qui ont permis le mélange d'une richesse de cultures et d'horizons qui nous caractérisent. Ce sont ces deux valeurs qui ont attiré mes parents ici et ces deux valeurs qui font que malgré mon nom, je me considère aussi Québécois qu'un Jean Tremblay.

Je saisis l'importance de la neutralité de l'État; j'en suis un fervent partisan. Je crois néanmoins qu'il faut faire la différence entre la neutralité de l'État et les apparences. Les apparences concernent autant celui qui regarde que celui qui apparaît.

Travaillant en milieu hospitalier, je côtoie de nombreux professionnels de la santé portant de signes religieux qu'on qualifierait d'ostentatoires. Jamais, au grand jamais, je n'ai pu imaginer qu'un patient recevant les soins d'un infirmier portant la kippa ou d'un médecin portant le voile puisse en venir à remettre en question la neutralité de l'État dans lequel il est traité.

La qualité des soins ou leur neutralité ont si peu à voir avec l'apparence des gens et tellement plus à voir avec leurs actions. Si les soins sont inadéquats en vertu de problématiques religieuses, ce sont les soins et la personne qui les octroie qui sont problématiques, pas ce que la personne porte. Déshabiller le moine ne le fera pas moins moine.

La neutralité de l'État est celle qui empêche les droits et les libertés de tout citoyen d'être brimés en vertu de principes religieux; la neutralité de l'État n'est pas celle qui interdit toute expression religieuse chez ses citoyens, de surcroît ceux qui travaillent pour lui.

On compare souvent le tollé présentement soulevé à celui qui a accompagné la loi 101. Je ferais remarquer que s'il est possible de demander à tous d'apprendre le français pour l'employer au travail, il est profondément inconcevable de demander à certains de renier leurs convictions - et leur liberté - religieuses, pour aussi peu qu'une question d'apparence. Si la loi 101 pouvait inclure, votre Charte ne peut qu'exclure. Parler une langue de plus n'est pas comme avoir une religion sans signes ostentatoires - ou l'absence de religion - de plus. C'est incompatible.

Vous dites que votre charte vise à donner des «règles claires pour tous». Il m'est difficile de le croire avec l'inclusion d'autant de possibilités de dérogation. Égalité homme-femme, vous dites, mais pas dans certaines universités, certains hôpitaux, certaines municipalités? Je crois plutôt que l'égalité homme-femme a si peu à voir avec le port de tel ou tel autre signe religieux...

Peut-être que, dans le meilleur des mondes, hommes et femmes ne s'habilleraient jamais différemment, mais d'ici là, demander aux femmes musulmanes qui portent le voile (et non aux hommes musulmans) de faire un choix entre leurs convictions religieuses ou un travail dans un milieu public, ou aux hommes juifs qui portent la kippa (et non aux femmes juives), n'est certainement pas un pas dans la direction de l'égalité homme-femme.

J'ai trop souvent entendu ces derniers temps que cette charte avait l'aval et le support des Québécois. Eh bien, sachez que j'en suis un, et que je clame haut et fort mon opposition à cette charte, qui malheureusement pave la voie à une intolérance grandissante.