J'écris ces lignes au lieu de terminer mes préparatifs pour la rentrée. Je suis professeure d'université et, le lendemain, j'enseigne deux cours. Et je suis découragée. Je ne suis pas découragée de mon travail, mais du nouveau projet du gouvernement québécois: le lancement d'une «démarche gouvernementale qui mènera au renforcement de l'enseignement de l'histoire nationale au primaire, au secondaire et au collégial».

Je suis découragée et je suis inquiète. Mardi, je donnais un cours de sociologie au premier cycle sur les relations ethniques, le racisme et le nationalisme. Nous aurons au programme, plus tard dans la session, un texte d'Étienne Balibar qui traite de la fabrique de la nation, des sujets nationalisés - homo nationalis, comme il l'appelle. Il s'appuiera aussi sur le philosophe Louis Althusser, ses réflexions sur les appareils idéologiques d'État, notamment le système d'éducation.

Flashback. Je ne suis pas encore majeure. Il a fallu que mes parents signent une autorisation pour que je puisse voyager seule à l'étranger. Je vais justement avoir 18 ans seule à Paris. Quelques jours plus tard, Lyon. Je visite un ami français. Nous marchons à Villeurbanne et je suis intriguée par une écriture murale. Elle se lit: «Les Turcs sont des SS». Je n'en comprends rien et demande une explication à l'ami. Il répond: «SS, les waffen-SS, quoi. C'est parce qu'à Villeurbanne, il y a beaucoup d'Arméniens». Le problème, c'est que je ne comprends toujours pas. Il me lance: «Là, tu te fous de ma gueule!» Mais non, je te le jure. Je ne comprends simplement pas. Excédé, il finit par un: «Vous les avez bien massacrés, non!»...

Pourtant, j'étais une excellente élève, et mes notes en histoire aussi. Le problème ne résidait pas en moi, mais dans la matière enseignée, dans ce qu'elle incluait et ce qu'elle excluait: l'histoire nationale et ses omissions et silences voulus, l'histoire nationale et ses «vérités absolues». Il m'a fallu longtemps pour apprendre ce qui avait été «oublié», et encore plus longtemps pour désapprendre ce qui n'avait pas été.

Inquiète, je le suis aujourd'hui, dans ce pays que j'appelle avec prudence le mien, quand même un peu - même si mon nom me vaut en permanence, même le jour où je suis devant l'urne pour voter, la question «d'où viens-tu au juste?».

Inquiète, car quand je lis les lignes et entre les lignes de ce communiqué de presse qui fait part des intentions du gouvernement péquiste, le spectre du type d'enseignement par lequel je suis passée, le rouleau compresseur de l'asphalte solide de la nation - sans nids de poule! -, me rend visite sans être moindrement le bienvenu.

Un enseignement où la matière «histoire» est mise au service de l'idéologie nationaliste, pour fabriquer la nation et pomper la fierté nationale dans la nation, comme en témoignent les propos du ministre Pierre Duchesne dans le communiqué: «Il est temps de discuter de ce qui nous définit. Cela contribuera à former des étudiants libres en pensée, des citoyens portés vers l'action et des Québécois dotés d'une plus solide confiance en eux».

La fixation du gouvernement actuel pour déterminer et discipliner «ce qui nous définit» n'est plus à démontrer - tellement elle domine ses dossiers privilégiés, comme le projet de charte des valeurs québécoises. Il reste à voir si la société québécoise consent à être fixée de la sorte.