Nul besoin de dire que le deuil auquel font face les habitants de Lac-Mégantic est sans pareil. Ce deuil n'est toutefois pas vécu dans l'intimité: les médias d'ici et d'ailleurs, mais surtout d'ici, prennent une part active à ce deuil.

C'est d'ailleurs fascinant d'observer de plus près le travail journalistique. Cette couverture a tout pour rappeler les cinq étapes du deuil, telles que décrites par la psychiatre suisse Elisabeth Kübler-Ross (1926-2004).

Choc: Le choc et le déni, première étape, étaient au rendez-vous à l'écoute des bulletins de nouvelles samedi, alors que chaque nouveau renseignement s'accompagnait de la surprise des journalistes. Le lendemain, les premières pages des journaux faisaient état de la tragédie et montraient les images les plus choquantes du terrain dévasté, avec pour effet de reproduire le choc chez le consommateur. On répète sans cesse les expressions «train de la mort» et «train fantôme», et les témoignages-chocs se multiplient: «Cinq de mes amis sont morts», titrait La Presse+ dimanche.

Colère: Rapidement, le choc fait place à la colère: les journalistes veulent des explications et cherchent des coupables. Après les témoignages touchants des proches des disparus, qu'on a regardés sans gêne pleurer à la télévision, ce sont les hauts dirigeants des compagnies ferroviaires, les experts du domaine et autres spécialistes qui sont interpellés pour répondre aux questions, insistantes, des médias.

Marchandage: À cette troisième étape, les protagonistes remettent en question leurs actions et tentent de changer les choses. Cette étape est présentée simultanément à la précédente dans nos journaux et téléjournaux, alors qu'en plus de chercher des coupables, la rage aux dents, les journalistes remettent les pratiques en question: «Et si les règles étaient différentes?»; «Et s'il s'agissait de négligence criminelle?»

Dépression: La quatrième étape fait place à une grande tristesse. Au fil des jours, l'espoir s'amenuise de retrouver des survivants, et la tristesse s'empare des proches des disparus. Les médias prennent du recul face à la colère exprimée, et tentent de donner une voix à ceux et celles qui pleurent les disparus. L'accent est cette fois mis sur la douleur, davantage que sur la stupéfaction, comme c'était le cas les premiers jours. Ainsi, on trouve des grands titres sur le deuil, comme ceux du jeudi matin: «Cinquante familles en deuil» ou «La pire nouvelle pour 50 familles».

Acceptation: Les médias ne semblent pas mûrs pour cette cinquième et dernière étape. Bien que Le Devoir publiait mercredi la photo d'un arc-en-ciel surplombant un chemin de fer, il s'agit d'un des seuls exemples de l'acceptation. Dans l'ensemble, le ton des articles et des reportages reste colérique ou maussade.

L'accent mis sur la proximité, qui fait en sorte que les médias traitent davantage ce qui se déroule tout près, a rendu possible ce deuil partagé que vivent en même temps tous les Québécois, par l'entreprise des grands titres des journaux et des téléjournaux. Il s'agit d'une démonstration parlante du fait qu'après tout, le Québec est un petit territoire tissé serré.