Quel curieux spectacle que de voir à l'Assemblée nationale, la semaine dernière, gouvernement et opposition se féliciter mutuellement d'avoir facilité les poursuites civiles des victimes d'agressions sexuelles!

Pourtant, la principale demande de ces victimes, l'imprescriptibilité, a été rejetée du revers de la main sans qu'on sache clairement pourquoi. Les victimes n'ont pas été entendues, alors que les députés adoptaient à la sauvette des amendements au projet de loi 22 qui, dans bien des cas, n'aideront personne.

L'un des obstacles majeurs au succès des recours civils des victimes de sévices sexuels est la prescription. Selon le Code civil, la prescription est un moyen «de se libérer par l'écoulement du temps». En matière de sévices sexuels, le délai de prescription est de trois ans.

Or, les recherches auprès des victimes de sévices sexuels ont démontré que celles-ci sont pendant longtemps dans l'impossibilité d'intenter des poursuites, parce qu'elles ont été conditionnées au silence par leur agresseur, parce que le sentiment de honte et de culpabilité les empêche d'attribuer la responsabilité à l'agresseur et parce que la question de sévices sexuels a longtemps fait l'objet d'un puissant tabou social. Il n'est donc pas surprenant de constater que la prescription est la première ligne de défense des agresseurs poursuivis au civil.

Les tribunaux québécois admettent occasionnellement que la prescription peut être «suspendue» lorsqu'une victime de sévices sexuels était «dans l'impossibilité en fait d'agir», c'est-à-dire lorsque son état psychologique l'empêchait, à toutes fins utiles, de faire valoir ses droits. Or, cette règle conduit les tribunaux à faire un véritable «procès de la victime», en ce sens que la victime doit justifier son retard à instituer les procédures. Par conséquent, le coût et la durée des procès augmentent.

Une solution s'impose: il faut abolir la prescription pour les poursuites en matière d'agressions sexuelles. Abolir la prescription revaloriserait le recours civil en dommages-intérêts faisant suite à une agression sexuelle. À l'heure où l'on s'inquiète du peu de droits accordés aux victimes d'actes criminels, il faut bien convenir que ce recours civil est souvent la seule protection effective des droits et des intérêts des victimes.

La doctrine de la prescription a été élaborée principalement dans un contexte de transactions économiques ou commerciales entre des personnes qui possèdent un pouvoir de négociation égal. Ce contexte n'a rien à voir avec celui des agressions sexuelles.

Il ne faut pas oublier que l'agresseur conditionne sa victime au silence. L'agresseur est donc ultimement responsable du temps que la victime prend pour intenter la poursuite. En cette matière, la prescription est dépourvue de fondement moral.

La Colombie-Britannique, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ont aboli la prescription en matière d'agressions sexuelles. Le Manitoba et Terre-Neuve ont aboli la prescription dans ce type de cause lorsqu'il y avait un lien de dépendance entre l'agresseur et la victime. Le Barreau du Québec lui-même suggérait récemment d'abolir la prescription dans les cas d'agression sexuelle, ce qui permettrait au Québec de rejoindre les rangs des provinces les plus progressistes.

Au lieu de cela, les amendements adoptés la semaine dernière en commission parlementaire portent le délai de prescription de trois ans à 30 ans. Cependant, ces modifications ne s'appliqueront pas aux agressions commises il y a plus de trois ans. Bien que la nouvelle loi puisse être utile pour les agressions intrafamiliales commises dans le futur, elle fait l'impasse sur les cas les plus nombreux, c'est-à-dire les agressions commises dans le passé dans un cadre institutionnel. Pour celles-ci, les règles actuelles continueront de s'appliquer.

De plus, la nouvelle loi mettrait fin au recours trois ans après la mort de l'auteur des agressions, ce qui pourrait avoir pour effet de blanchir les institutions, notamment religieuses, qui employaient les agresseurs ou qui ont toléré leurs pratiques.

Le processus suivi pour adopter ces modifications au Code civil témoigne d'une insouciance des élus envers le sort des victimes d'agressions sexuelles commises dans un cadre institutionnel. Malgré les beaux discours, on a évité le vrai problème. Au bout du compte, au lieu de protéger les victimes, on continue de protéger les agresseurs...