L'hypersensibilité et la frustration règnent présentement au Québec envers les 5 C: corruption, collusion, complaisance, conflits d'intérêts et communications d'influence. Nous sommes à la fois si écoeurés et empressés de voir des changements se produire que nous sommes prêts à suivre aveuglément nos gouvernements, lesquels sont prêts, pour nous plaire et gagner du capital politique, à condamner et détruire des entreprises.

Or, les propositions récentes du gouvernement (Loi 1), du gouvernement précédent (C-73 et C-25) et du maire de Montréal, Michael Applebaum, qui souhaitent écarter des firmes d'ingénierie des appels d'offres de la Ville de Montréal, sont déraisonnables et destructrices pour l'économie et le tissu social du Québec.

Le réflexe de nos politiciens a été de punir les organisations coupables pour apaiser la grogne populaire, mais sans mesurer toutes les conséquences à moyen terme des lois adoptées à la va-vite. Condamnons toutes ces entreprises pour nous donner bonne conscience. Cela nous ramène allégoriquement au temps des Romains: un peu de sang, ça fait du bien... Ou aux siècles passés: une purge guérit tout.

Les quelques lois adoptées récemment ont été écrites dans un esprit de punir une entreprise entière pour la turpitude d'un ou de quelques dirigeants, actionnaires ou administrateurs. Imaginez quelques crapules chez SNC-Lavalin et voilà les contrats retirés pour cinq ans dans le secteur public! Conséquences: des pertes d'emplois assurés au sein des 30 000 employés dont la très vaste majorité sont honnêtes. Des impacts sur des milliers d'emplois indirects. Des désastres économiques pour une foule de fournisseurs compétents et consciencieux.

Des prédateurs financiers étrangers, flairant la bonne affaire, décideront de faire une offre d'achat hostile sur cette entreprise, privant le Québec de centaines de millions d'impôts versés chaque année, puisque le siège social sera transféré à l'étranger.

Dans deux décisions récentes, la Cour suprême du Canada que l'intérêt d'une organisation ne devait pas être confondu avec celui de ses actionnaires, mais devait également tenir compte des intérêts des employés, des clients, des créanciers, des fournisseurs, du public et des autres parties prenantes.

Il est donc très dangereux pour un gouvernement provincial ou municipal de condamner publiquement une entreprise dans son ensemble alors que quelques dirigeants ou actionnaires ont agi de manière illégale... aussi frustrant cela soit-il. Agir ainsi va à l'encontre de ce principe de la Cour suprême.

Pire encore, laisser à l'Autorité des marchés financiers (AMF), avec toute la compétence qu'elle puisse avoir, l'odieux de déterminer quelle entreprise mérite la «confiance du public» est fort probablement inconstitutionnel puisque trop aléatoire.

Trouvons plutôt des preuves en dehors de la commission d'enquête pour incriminer les «individus» plus que les organisations, mais récupérons aussi au passage quelques centaines de millions des beaux profits réalisés par ces firmes à un rythme qui ne les détruiront pas.

Ensuite, soyons imaginatif. Au lieu de seulement adopter une approche punitive, pensons féliciter les compagnies éthiques. Par exemple, j'ai appris récemment qu'une firme d'ingénierie tente en vain depuis 20 ans d'obtenir des contrats auprès de la Ville de Montréal et de plusieurs autres municipalités parce qu'elle n'a jamais accepté de jouer le jeu des entreprises «collusionnaires». Une partie de la solution consisterait à récompenser de telles entreprises, qui ont fait la preuve du temps.

Pourquoi ne pas implanter à la grandeur du Québec un système de points de mérite ou de démérite lors des appels de propositions? Un système qui par exemple accorderait 10% aux entreprises n'ayant pas fait l'objet de condamnation ou d'accusations au cours des 10 dernières années ou, mieux encore, qui ont mis en place un véritable programme d'intégrité? Cette avenue permettrait aux compagnies éthiques de gagner plus de contrats sans nécessairement détruire les entreprises au sein desquelles quelques dirigeants ont agi avec cupidité et malice.