Chaque fois, c'est pareil, le problème refait surface. Lors de la deuxième rencontre de parents annuelle, ils se réveillent et se questionnent enfin sur une aberration majeure de notre corpus éducationnel post-réforme : « Monsieur le professeur, est-ce que je me trompe ou le cours d'histoire du Canada que vous donnez en 4e secondaire ressemble étrangement au cours d'histoire du Canada que mon enfant a reçu l'année dernière ? Est-ce normal qu'encore cette année, ma fille étudie la sédentarité des Iroquois, les conséquences de la Conquête anglaise et le baby-boom des années 1950? ».

Réalité désolante, mais selon moi trop peu décriée par les acteurs du milieu de l'éducation, les conséquences de la nouvelle réforme scolaire sur l'enseignement de l'histoire au secondaire sont regrettables à bien des égards. En effet, non seulement les étudiants reçoivent pendant deux années consécutives les mêmes notions historiques sur l'histoire de leur pays, mais surtout, en conséquence à cette redondance, ils obtiennent leur diplôme au prix d'une aversion déplorable envers le domaine historique en général.

Pour expliquer ce phénomène, nous devons tout d'abord revenir à la période de transition pendant laquelle le ministère de l'Éducation décide de redonner ses lettres de noblesse à l'histoire nationale. Pour ce faire, le cours d'histoire du Canada s'enseignera désormais sur deux années plutôt qu'une seule. À la suite du retrait de l'ancien cours de géographie de 3e secondaire (ne nous posons plus de question à savoir pourquoi nos jeunes croient que la Saskatchewan est une ville en Afghanistan...), nous étions plusieurs enseignants à nous questionner sur la forme que prendrait ce nouveau cours devant régler les lacunes des jeunes québécois sur leur histoire nationale : est-ce que le cours d'histoire du Canada se donnera désormais sur deux ans, laissant ainsi plus de latitude aux professeurs pour enseigner une matière non seulement complexe, mais également très dense pour être inculquée en une seule année ? Est-ce que le Ministère utilisera judicieusement cette année supplémentaire pour enseigner aux jeunes les enjeux de l'histoire canadienne contemporaine, en l'occurrence, tout ce qui s'est déroulé au Québec depuis 1995 et qui n'est pas présent dans les anciens manuels ?

Eh bien non, comme je le décèle aujourd'hui, cette seconde année d'histoire nationale (3e secondaire) n'est rien de moins qu'une copie carbone de l'ancien cours d'histoire du Canada enseigné depuis la nuit des temps en 4e secondaire. Dans ces deux cours, la période historique analysée débute avec l'arrivée des Autochtones en Amérique et se termine avec le Québec post-référendaire.

Oui, l'enseignement de l'histoire nationale se fait désormais par thème en 4e secondaire plutôt que par chronologie comme c'est le cas en 3e secondaire, mais les connaissances acquises pendant ces deux années restent les mêmes.

Ajoutez à cette « redondance d'apprentissages » une matière relativement indigeste pour un adolescent de 13-14 ans, et vous obtenez le mélange parfait à un désintéressement total vis-à-vis l'histoire avec un grand H.

Car ne nous voilons pas la face : même si son apprentissage est impératif, l'histoire du Canada est loin d'être aussi palpitante que ces nombreuses épopées historiques constamment quémandées par les jeunes et omises au secondaire, ne serait-ce que la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide, le conflit israélo-palestinien, le génocide rwandais ou la lutte contre le terrorisme (assurément tous de pertinents sujets qui, rassemblés dans un même cours, pourraient remplacer un des deux cours d'histoire identiques !). Cette surdose d'histoire canadienne empiétant sur les grands conflits contemporains, ne nous demandons plus pourquoi les générations montantes n'ont jamais entendu parler de Gandhi, Staline, Mandela ou Castro.

J'aime mon métier et j'adore enseigner l'histoire nationale. Par contre, devoir chaque année, en 4e secondaire, justifier à mes élèves pourquoi je radote encore une fois les mêmes histoires d'Algonquiens, de Jean Talon et de Révolution tranquille me laisse un goût amer sur les lèvres. Nos jeunes méritent mieux - l'Histoire mérite mieux.