Plusieurs fois, j'ai pensé à écrire à Ginette Leblanc. Je n'ai pas trouvé les mots. Je voulais lui parler de son courage inspirant, de sa beauté, de sa coquetterie, celle d'une femme qui veut demeurer femme malgré la maladie, et de bien d'autres choses aussi. Chaque fois qu'il est question de suicide assisté, je sais que l'actualité va me rappeler son histoire courageuse.

Cette Trifluvienne atteinte de sclérose latérale amyotrophique mène un combat pour faire déclarer inconstitutionnel un article du Code criminel du Canada qui criminalise l'aide au suicide. Ses démarches se poursuivent devant les tribunaux, malgré un corps qui l'abandonne beaucoup trop vite.

Même si on ne se connaît pas, je l'ai accompagnée dans sa maladie. Je suis archiviste pour la télévision. Chaque fois qu'on l'a interviewée, je visionnais les tournages, sélectionnais les images, les archivais.

Cette semaine, j'ai eu un choc. Une tristesse envahissante, à l'image de la maladie qui s'est installée dans sa vie. Le gouvernement du Québec s'engage à déposer dans les prochains mois un projet de loi afin de mettre en oeuvre les conclusions de la commission «Mourir dans la dignité». Mme Leblanc a accordé si généreusement une entrevue à mes collègues pour donner ses réactions à cette nouvelle qui la touche.

Si le processus continue de traîner en longueur, sa maladie continuera de progresser en douleur et il sera trop tard pour elle. Le visage amaigri, inconfortable de toute évidence dans son fauteuil, la parole la quitte tranquillement parce que sa langue commence à refuser de faire son travail. Sournoise maladie. S'infiltre comme le froid en hiver, jusqu'aux os.

Mais elle, elle a fait la promesse à sa fille de ne pas mettre fin à ses jours avec le premier moyen du bord. Malgré la vive souffrance, elle attendra qu'on l'aide à mourir dans un processus encadré, entourée de ses proches quand l'heure sera venue.

Elle veut mourir accompagnée de ceux qu'elle aime. Dans la dignité.

Légitime.

Triste.

Et légitime.

Elle a appris à accepter l'inacceptable, que son corps devienne étranger à elle-même, que sa vie se dégrade jour après jour. Parler de la mort à venir est son pain quotidien.

C'était la première fois que l'entrevue se déroulait à l'hôpital, sa nouvelle demeure. Chaque fois que nous l'avons rencontrée, c'était à son domicile. Tantôt, elle nous présentait son nouvel ascenseur personnel qui avait dû être construit pour faciliter ses déplacements en fauteuil roulant; tantôt, on la suivait dans ses activités quotidiennes, entre autres à se maquiller alors que ses mains commencent à se raidir comme le plâtre d'une sculpture qui se fige pour l'éternité.

Je n'ai toujours pas les mots pour dire à cette femme combien son parcours me touche, me trouble et m'affecte.

Quand la journaliste lui a demandé si sa fille lui en voulait d'avoir vécu sa maladie devant les médias, devant l'oeil voyeur des caméras - parce qu'après tout, il s'agit de leur intimité, de ce qui leur reste de temps ensemble -, elle a pris une pause.

- Un jour, ma fille m'a dit: «Tu es mon héros.» C'est moi qui ai pris une pause ensuite. C'était si beau d'entendre ça. Pas beau. Tragiquement beau.

Arrêter l'enregistrement, respirer. Pleurer et respirer.

Alors, je ne saurais pas expliquer à quelqu'un que je ne connais pas que son histoire m'a touché le coeur. Je ne souhaite pas avoir à vivre un jour les étapes déchirantes par lesquelles elle et ses proches sont passés.

Je lui dis simplement merci. Merci, Mme Leblanc, de vouloir faire avancer le processus malgré vos forces qui vous abandonnent. Merci, héroïne des temps modernes, d'avoir le courage titanesque que je n'aurais probablement jamais eu. Merci à votre famille de vous partager avec le public parce qu'avec vous, le débat concernant l'aide à mourir a un visage.