C'est pas juste. La vie est comme ça.

J'ai beau manger comme deux hommes, je reste mince. Ma blonde n'a qu'à penser à un gâteau pour prendre deux livres... J'ai aussi un ami qui passe ses soirées à s'entraîner pour être un meilleur sportif, mais il demeure un athlète bien moyen.

Par contre, on a tous déjà vu un de ces gars qui gagnent toujours les médailles d'or, même sans entraînement. On appelle ça des «naturels». Ils semblent faits pour ça, les sports. Leur corps, sans qu'on puisse vraiment comprendre pourquoi, évite tous les «mauvais plis» auxquels les humains normaux ne peuvent échapper. Ils n'ont pas de «slice» au golf, ils peuvent lancer une balle glissante, ils nagent le papillon, ils tirent à l'arc toujours dans le mille: leur corps est une machine qui fonctionne parfaitement. Et ça, c'est pas juste. Ils n'ont pas à forcer, à pratiquer, à attendre. C'est là, c'est venu tout seul, comme ça.

À l'école, c'est pareil. C'est pas juste là non plus. Au lieu du corps, on y travaille avec la tête. On en voit des élèves qui étudient, qui bûchent, qui passent leurs soirées dans leurs livres et leurs cahiers puis, au bout du compte, ils vivotent, ils survivent ou, encore plus triste, ils coulent lamentablement.

Histoire de leur tourner le couteau dans la plaie, juste à côté, il y a le «naturel» qui passe ses soirées au parc, au cinéma ou avec sa blonde. Il n'étudie jamais parce qu'il n'en a pas besoin. Il a 100% de toute façon. Tout est clair, limpide, simple. Il a donc tout son temps pour profiter de la vie et de ses plaisirs. Son esprit est une machine qui fonctionne parfaitement et ça, c'est pas juste. Il n'a pas à forcer, à pratiquer, à attendre. C'est là, c'est venu tout seul, comme ça.

Malheureusement, dans le sport comme à l'école, on ne calcule pas les résultats en fonction des efforts, mais des résultats. Pour les très forts comme pour les très faibles, l'effort n'a souvent que peu de lien avec le résultat.

Il faut se mettre à la place de celui qui force toujours, mais qui perd tout le temps, pour comprendre le décrochage. On ne parle jamais de décrochage sportif. On dit que le jeune déteste le sport et que, de toute façon, «il n'était pas fait pour ça» ... Combien de gens démunis d'aptitudes sportives ont passé leur primaire et leur secondaire à regarder les meilleurs se faire aller durant les cours d'éducation physique? Ils feignaient une crampe, un mal de ventre, ils avaient fait signer une fausse exemption par un faux médecin, question de ne pas avoir trop l'air fou...

Voir l'école comme le sport, le cerveau comme le corps, ça donne une autre vision du décrochage scolaire, dont on parle sur toutes les tribunes. On parle peu de ces jeunes qui bûchent, qui travaillent et qui coulent malgré tout. On refuse de dire qu'ils ne sont probablement pas faits pour ça et que les plus brillants feraient la même chose qu'eux s'ils étaient placés dans la même situation.

Le décrochage scolaire, ce n'est pas seulement une conséquence fâcheuse des réformes, de la pauvreté de certains milieux ou de l'outrancière démesure de l'appareil de gestion qu'est le ministère de l'Éducation. Le décrochage, c'est aussi la mise en lumière d'une des marques d'hypocrisie les plus crasses de notre société: l'obstination des dirigeants à enfoncer la «réussite» dans la gorge de ceux qui n'en ont pas les moyens, le tout pour laisser croire que le Québec se porte bien.