Les scandales éclaboussant la congrégation de Sainte-Croix suscitent de nouvelles souffrances, notamment chez les victimes de certains frères, même des décennies après les actes criminels. Il est rassurant que la sollicitude populaire leur soit réservée.

Une autre conséquence fâcheuse de ces événements, quoique dans une bien moindre mesure, est le renforcement des préjugés obscurcissant la perception de la figure du prêtre - par ailleurs associée sans trop de rigueur à celle du frère religieux.

Depuis le début de mon cheminement vers la prêtrise, je suis frappé par le fossé séparant le camp de ceux qui tirent la figure du prêtre vers ce qui est le plus bas en l'humain, et le camp de ceux qui la tirent exagérément vers les hauteurs célestes.

Pour les premiers, un prêtre est presque inévitablement un homme archaïque, plutôt homophobe, peut-être pédophile, en tout cas un peu misogyne et franchement buté en ses petites idées étanches.

Pour les seconds, il est un grand saint de fait ou en devenir, un autre Jésus, un être «branché en haut» que l'on doit se concilier pour rester en bons termes avec Dieu, assurément un martyr des temps modernes ou, pour les plus vaguement informés, la version ennuyeuse d'un Jedi.

Certes, le rapport ambigu des Québécois avec le catholicisme se traduit, chez plusieurs, par une perception plus nuancée et réaliste; mais à y regarder de près, cette polarisation entre l'ange et la bête reste d'actualité.

Pourtant, le prêtre n'est guère l'homme des extrêmes; plutôt le type même de l'habitant de la Terre du Milieu. Non pas au sens qu'il se déclinerait sur le modèle de Gandalf, mais au sens où il évolue dans l'espace d'air raréfié où doit s'exprimer harmonieusement la tension entre deux univers.

De fait, le prêtre fait constamment le pont entre un discours institutionnel nécessaire et légitime d'une part, et l'expérience personnelle de Dieu que fait chacun d'autre part; entre une tradition d'une richesse inouïe, et une modernité pratiquant elle aussi bien des vertus; entre une culture biblique dont le langage est devenu opaque pour le commun des mortels, et la culture actuelle; entre les aspirations au changement des plus dynamiques, et le respect de la majorité ayant toujours pratiqué leur foi d'une certaine manière; entre un idéal moral exigeant, et la faiblesse concrète de chacun.

Bref, le prêtre, en raison même des tensions qu'il ne peut espérer résorber une fois pour toutes sans trahir son ministère, est une figure complexe. Les sociétés modernes devraient pouvoir apprécier cette figure, parce qu'elles-mêmes sont aux prises avec la tâche d'avancer dans une impulsion conjuguant rupture et continuité, cohérence et innovation, unité et diversité. Ainsi, loin d'être archaïque ou sublimée, la figure du prêtre se révèle résolument moderne - contre toute attente!