La population ne comprend pas pourquoi Guy Turcotte n'a pas écopé de 25 ans de pénitencier pour le meurtre de ses deux enfants.

Certains prétendent que l'indignation des citoyens est attribuable à la forte médiatisation du procès et des principaux protagonistes. Je ne suis pas d'accord. Le principe d'une justice publique a toujours existé au Canada. Il est basé sur un principe fondamental voulant que le système judiciaire conserve la confiance de la population. Encore faut-il que le peuple sache ce qui se passe dans les salles de cour.

Les médias n'existent pas que pour rapporter les thèses des parties au procès. Ils sont là aussi pour relayer les explications des avocats de la défense, de leurs associations, du Barreau et des groupes travaillant en santé mentale, pour peu qu'ils croient encore possible d'expliquer au public l'étrange verdict de non-responsabilité criminelle dont Turcotte a bénéficié. Or, tous ces lobbies d'ordinaire loquaces sont demeurés silencieux depuis le prononcé du verdict, le 5 juillet 2011.

Les procès devant jury ont ceci de particulier qu'aucune motivation écrite ou verbale n'est fournie par le juge et le jury pour expliquer publiquement le verdict. La preuve n'est pas non plus entièrement accessible au grand public. Seuls les jurés l'ont eue au complet. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles des dizaines de questions demeurent sans réponses. Suffisamment en tout cas pour expliquer la grogne.

Ainsi, on se demande comment Turcotte n'a pu comprendre la nature des gestes qu'il posait alors qu'il assenait 27 coups de lame à son fils Olivier, 4 ans, dont sept l'ont été aux mains et aux poignets, signe que l'enfant s'est vigoureusement défendu. Et le sang d'Olivier sur la poignée de porte d'Anne-Sophie qui s'apprêtait à son tour à en recevoir 19 n'infère-t-il pas son intention ferme d'en finir avec elle aussi? Comment croire que pendant tout ce temps, Turcotte n'ait pu distinguer le bien du mal? Et ses déclarations spontanées aux policiers qui ont découvert l'horreur le matin du 21 février 2009 et au personnel soignant? Les explications fournies n'étaient-elles pas celles d'un homme lucide en tout temps?

Tout le monde comprend qu'un déséquilibré psychotique puisse blesser ou tuer sans le réaliser. Mais on est loin du cardiologue d'expérience, imprégné de prestige, l'incarnation du modèle social parfait qui sauve des vies par centaines. Turcotte invoque un trouble d'adaptation à sa séparation récente pour justifier sa perte d'intention coupable lors des meurtres. Même ici, de nombreux psychiatres vous diront ne pas y retrouver leurs petits.

Peu de temps après le verdict, Turcotte lui-même a alimenté le cynisme. Hormis le moment précis où il a tué Olivier et Anne-Sophie, il s'est toujours glorifié d'un esprit vif et totalement fonctionnel. À peine six mois après le verdict, il clamait devant la Commission d'examen des troubles mentaux «ne plus être un risque pour personne». Il se disait même apte à refaire sa vie familiale et à pratiquer à nouveau la médecine.

Le 12 décembre dernier, il était libéré par la Commission malgré le fait que les trois commissaires aient conclu unanimement qu'il présentait toujours «un risque important pour la sécurité du public». Le principal intéressé, triomphant, n'en voyait aucun.

Dans quelques mois, la Cour d'appel aura à décider si le juge qui a présidé le procès a erré en omettant d'informer le jury du fait que l'état mental de Turcotte était dû, en partie du moins, à une intoxication volontaire au méthanol. Entre autres motifs d'appel, la Couronne allègue qu'un accusé ne peut s'intoxiquer volontairement et ensuite plaider son état pour se défendre. Voilà qui tombe sous le sens et qui a le mérite d'être clair, même pour le citoyen ordinaire.

Devant la prolifération des recours à l'article 16 du Code criminel, particulièrement au Québec, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu a fait savoir de son côté que le gouvernement fédéral entendait réexaminer cette disposition qui introduit la notion mentale de responsabilité criminelle. Fort bien. S'il faut souhaiter à court terme que la poursuite réussisse à convaincre la Cour d'appel (ou éventuellement la Cour suprême) que Guy Turcotte a été l'artisan de son propre malheur, une révision publique et approfondie de l'article 16 s'avère également nécessaire si l'on tient vraiment à assurer la confiance du public dans notre système de justice criminelle.

En réponse à ceux qui pourraient être tentés de disculper les meurtres de leurs enfants au profit du méthanol, de l'alcool, des drogues ou autres substances aliénantes, souhaitons que le gouvernement Harper passe vite de la parole aux actes.