Personne ne peut décoder avec certitude le mobile non plus que l'objectif de la commission Charbonneau qui a sciemment choisi d'étaler au grand jour la liste noire du club privé 357c.

La réputation d'une personne reflète sa dignité inhérente. Sa protection est d'une importance fondamentale dans notre société démocratique.

Dans un contexte d'enquête publique, la Cour suprême (affaire Krever) rappelait qu'une bonne réputation représente la valeur la plus prisée par la plupart des gens. Par conséquent, «il est essentiel de démontrer le respect des principes de l'équité procédurale dans les audiences de la commission», d'opiner la plus haute cour du pays.

S'étant référée (dans sa déclaration d'ouverture) à «l'attention médiatique», la juge France Charbonneau a pris l'engagement d'être particulièrement attentive «à protéger les réputations». Quel est le souci des commissaires? «La réputation et l'image des témoins», d'indiquer la juge Charbonneau.

Qu'en est-il de la réputation des tiers qui ne sont ni témoins, ni parties, ni intervenants devant la Commission? Selon ses règles de procédure, les commissaires peuvent recevoir toute preuve qu'ils jugent pertinente à leur mandat en respectant les droits fondamentaux «des personnes qui peuvent en être affectées».

Les commissaires peuvent également, selon les circonstances, imposer le huis clos ou émettre une ordonnance interdisant la divulgation, la publication ou la communication de tout témoignage, document ou élément de preuve afin d'assurer la «protection des parties, des témoins et du public».

Revenons à la liste des membres et invités du Club 357c, lesquels font partie du public.

Les personnes énumérées dans la liste noire ne sont pas toutes impliquées dans les travaux de la Commission. Bon nombre d'entre elles n'auront jamais à témoigner. Pourtant, l'amalgame mis en preuve était de nature à porter ombrage à la réputation de tierces personnes, membres du public.

Au lendemain de la dernière séance de témoignage, dans la foulée d'une agitation confuse, la juge Charbonneau a rappelé sa «préoccupation de préserver la réputation des personnes».

Précédemment établie, voici la marche à suivre: «les personnes qui veulent être entendues le seront si nous jugeons que leur témoignage est pertinent et selon le déroulement de la preuve». Cette marge discrétionnaire autorise autant une chose que son contraire.

Selon l'adage populaire: pas de fumée sans feu! Tous les élus, gestionnaires et gens d'affaires ayant fréquenté le club 357c pourront-ils, sur demande, être entendus afin de gommer les soupçons de collusion et de corruption que l'opinion publique pourrait entretenir à leur encontre?

En net décalage avec la nouvelle, auront-ils intérêt à le faire? Mieux vaut enterrer l'épisode dans un coin de mémoire.

Au regard des règles de procédure adoptées par la Commission, un doute sérieux subsiste quant au respect de l'exigence d'équité procédurale.

Contrairement à une croyance répandue, la Cour suprême n'a jamais reconnu la possibilité pour les commissaires de porter atteinte à la réputation d'autrui pendant le processus d'enquête publique, c'est-à-dire lors de l'audition des témoins.

Dans l'affaire Krever, la Cour a indiqué que «les commissaires doivent avoir le pouvoir de tirer des conclusions de fait qui sont pertinentes pour expliquer et appuyer leurs recommandations, même si elles peuvent nuire à la réputation de certaines personnes».

Autrement dit, ce n'est qu'à l'étape finale, pendant l'analyse de la preuve colligée, que les commissaires peuvent apprécier la crédibilité des témoins et tirer des conclusions factuelles, «même si, selon la Cour, les constatations et les conclusions sont susceptibles de nuire à la réputation de personnes physiques ou morales».

Ensuite viennent les recommandations consignées dans un rapport public.

L'exigence d'équité procédurale oblige également les commissaires à donner aux personnes intéressées un préavis les informant des conclusions faisant état d'une faute susceptibles d'être tirées à leur égard dans le rapport final.

Cette mesure vise à permettre aux intéressés de se préparer ou de répondre aux conclusions faisant état d'un blâme que la commission pourrait tirer à leur égard.

Dans un contexte trouble, nommer, c'est juger et jeter l'opprobre sur d'honnêtes citoyens. En rétrospective, force est de constater que la puissance d'enquête publique expose à l'excès.