Cette année, la Journée mondiale du sida s'est donné un thème ambitieux : « Objectif zéro », c'est-à-dire zéro nouvelle infection au VIH, zéro discrimination, zéro décès lié au sida.

D'importants progrès ont été réalisés. Le sida ne veut plus automatiquement dire une condamnation à mort. Plus de huit millions de personnes vivent avec le VIH dans les pays en développement et prennent actuellement des médicaments antirétroviraux (ARV) qui leur permettent de vivre une vie saine et productive. Des preuves scientifiques, provenant de recherches faites au Canada par le Dr Julio Montaner et son équipe du Centre d'excellence de la Colombie-Britannique sur le VIH/sida, démontrent que donner accès aux traitements aux personnes infectées plus tôt permet de réduire le risque de propagation du VIH. Et, du moins en théorie, la volonté politique est là : la communauté internationale s'est engagée à offrir des traitements contre le VIH à des millions de personnes supplémentaires qui en ont besoin.

Le succès de « l'objectif zéro » pourrait être assuré si les pays comme le Canada tenaient leur promesse de contribuer davantage à la lutte. Pourtant, les progrès sont invariablement menacés par des politiques gouvernementales changeantes. Par exemple, bien que le Canada ait promis presque 1,3 milliard de dollars pour soutenir le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le pays participe aussi à des négociations commerciales qui menacent la disponibilité des médicaments génériques abordables qui permettent de traiter le VIH et d'autres maladies.

L'accès à des ARV abordables constitue la pierre angulaire de la lutte mondiale contre le sida. Grâce à la compétition générée par les médicaments génériques indiens, le prix des médicaments contre le VIH a diminué de pas moins de 99  au cours des 10 dernières années. Plus de 80% de tous les médicaments contre le VIH achetés par des bailleurs de fonds sont des médicaments génériques indiens. De même, les ARV utilisés par Médecins sans frontières (MSF) pour traiter 220 000 personnes dans des pays en développement proviennent de l'Inde.

Encore une fois, des politiques gouvernementales inconstantes compliquent la lutte contre le sida et menacent l'accès à ces médicaments génériques qui sont d'une importance vitale. Chez MSF, nous nous inquiétons particulièrement de l'Entente de partenariat transpacifique (EPTP), un accord régional actuellement en négociation qui est régenté par les États-Unis et comprend en ce moment le Canada, les États-Unis et neuf autres pays, dont des pays en développement comme le Pérou et le Vietnam. Le Canada vient à peine de rejoindre l'EPTP, mais participera au prochain cycle de négociations en décembre.

Les discussions sur l'EPTP sont menées en secret, mais des documents préliminaires ayant fait l'objet de fuites démontrent que les États-Unis demandent des clauses contraignantes qui sanctionneraient la production de médicaments génériques plus abordables. Les États-Unis tentent d'imposer des lois plus dures permettant de tenir les produits génériques concurrents plus longtemps hors du marché et ainsi, de maintenir des prix plus élevés pour les médicaments. Les États-Unis veulent également faciliter la tâche aux compagnies pharmaceutiques qui souhaitent obtenir de nouveaux brevets sur de vieux médicaments en les modifiant légèrement, même si ces modifications n'apportent aucun bénéfice thérapeutique aux patients.

Ces politiques menacent l'accès aux médicaments abordables contre le sida et d'autres maladies, un accès qui peut être une question de vie ou de mort dans les pays en développement.

Ce partenariat économique a également des implications pour les politiques canadiennes d'aide et de développement à l'étranger. Par exemple, la capacité du Fonds mondial à offrir des traitements à presque sept millions de personnes dans le besoin est largement dépendante d'un accès durable à des médicaments génériques abordables. En approuvant les clauses proposées aujourd'hui par l'EPTP, le Canada minerait les programmes de santé mondiale que nous soutenons. Cela constituerait un manquement à nos promesses de protéger la santé publique des abus des échanges commerciaux.

L'importance de protéger l'accès aux médicaments génériques abordables n'est pas un enjeu nouveau pour le Canada. En 2004, le pays a été l'un des premiers à proposer un projet de loi (le Régime canadien d'accès aux médicaments [RCAM]) visant à assurer que nous contribuions à aider les pays en développement à avoir accès à des médicaments abordables même lorsque des brevets compliquaient la production de médicaments génériques. Pourtant, huit ans plus tard, une seule license a été émise sous le RCAM et une seule compagnie pharmaceutique canadienne a envoyé des médicaments génériques contre le VIH dans un pays en développement. La ratification du projet de loi C-398 visant à simplifier les procédures d'obtention d'une licence et à élargir le spectre des médicaments couverts est critique. Le RCAM est quasiment inutilisable sans la volonté politique nécessaire à sa réforme.

Le Canada peut et doit agir maintenant pour garantir que les négociations commerciales auxquelles il choisit de participer ne sacrifieront pas l'accès aux soins de santé. Le Canada doit tenir sa promesse d'aider des pays à avoir accès à des médicaments abordables. L'objectif zéro signifie que les médicaments doivent demeurer abordables et le Canada doit mettre l'épaule à la roue.